Comment trouver le meilleur coup ?
Le GMI Alexander Kotov est l'une des figures les plus sous-estimées de l'histoire des échecs. Demandez aux joueurs de club moyens ce qu'ils savent de Kotov et, au mieux, ils se souviendront de sa partie la plus célèbre contre le GM Averbakh.
Personnellement, je ne pense pas que ce fut une si grande partie car, en milieu de jeu, les noirs souffraient d'une position stratégiquement difficile, et la combinaison après la gaffe des blancs était plutôt évidente. La renommée de cette partie provient clairement de l'illustre livre sur ce tournoi écrit par David Bronstein.
Faites-vous une faveur et procurez vous un ouvrage avec une sélection des parties de Kotov. Vous découvrirez des douzaines de parties vraiment exceptionnelles de ce joueur talentueux.
Bien que, dans l'histoire de notre jeu, de nombreux joueurs ont eu des résultats équivalents ou même meilleurs, il est difficile de trouver quelqu'un qui puisse rivaliser avec l'impact de Kotov sur la popularité des échecs. Grâce à lui, des millions de personnes se sont intéressées au roi des jeux. Les enfants de ma génération qui étudiaient sérieusement les échecs ne manquaient jamais l'émission télévisée hebdomadaire animée par Kotov. Même les personnes qui ne jouaient pas du tout aux échecs ont apprécié son livre White And Black (Blanc et noir) ainsi que son adaptation en film The White Snow Of Russia (La neige blanche de Russie).
En tant qu'écrivain prolifique, Kotov a sorti de nombreux livres qui sont devenus des best-sellers. Par exemple, son ouvrage en deux volumes sur Alekhine s'est écoulé presque instantanément malgré les 100 000 exemplaires édités. Comme je l'ai mentionné dans un article précédent, les bons livres d'échecs se payaient alors au prix fort en Union Soviétique.
Personnellement, j'ai utilisé une petite astuce pour dévorer les livres de Kotov. Il existait une chaîne de librairies appelée "Friendship" (Relation amicale) implantée dans toute l'Union Soviétique. Ces magasins vendaient des livres imprimés dans les pays du bloc de l'Est. J'y ai trouvé un tas d'ouvrages écrits par des Grands Maîtres soviétiques mais imprimés en Allemagne de l'Est. Comme je ne parle pas allemand, c'était au départ un défi, mais j'ai assez vite appris la notation des échecs en allemand ainsi que quelques phrases basiques comme "Schwarz gewinnt" (les noirs gagnent). C'est drôle, mais quand j'ai commencé à jouer aux échecs, je possédais plus de livres en allemand qu'en russe !
Vous vous demandez probablement pourquoi une personne aussi extraordinaire que Kotov n'est pas un nom connu de tous. Eh bien, tout d'abord, il l'était il y a 40 ou 50 ans, mais sa renommée s'est peu à peu estompée. Cela est arrivé en raison des rumeurs persistantes sur sa collaboration avec le KGB. Une autre raison est que les livres qu'il a écrits sur Alekhine faisaient partie de l'énorme machine de propagande soviétique. Afin de prouver qu'Alekhine n'était pas un nazi et qu'il n'avait pas écrit ses célèbres articles pour le Pariser Zeitung (quotidien publié sur l'ensemble du territoire français pendant l'occupation), Kotov a dû déformer certains faits.
Néanmoins, ne résumons pas l'œuvre de Kotov à cette période trouble : la plupart de ses livres étaient très instructifs et extrêmement utiles pour les aspirants joueurs d'échecs.
À mon avis, son ouvrage le plus important est The Mysteries Of Chess Player's Thinking (Les mystères de la pensée du joueur d'échecs) publié en 1970 et traduit en anglais un an plus tard sous le titre Think Like A Grandmaster (Pensez comme un Grand Maître). Dans ce livre révolutionnaire, Kotov a discuté de la façon dont les joueurs d'échecs cherchent le meilleur coup et comment ils prennent leurs décisions.
De nombreux termes spécifiques que nous utilisons aujourd'hui de façon régulière, comme "coups candidats" ou "l'arbre de variantes", proviennent de ce livre. Wikipedia mentionne même le "syndrome de Kotov" comme "une situation où un joueur réfléchit intensément pendant longtemps dans une position compliquée mais ne trouve pas de voie claire, puis, manquant de temps, fait rapidement un mauvais coup, souvent une gaffe".
Parlons du "syndrome de Kotov", car c'est le tout premier sujet abordé dans le livre mentionné ci-dessus.
Kotov fournit la position suivante :
Il décrit ensuite les pensées du maître qui conduisait les pièces blanches :
"L'attaque des blancs sur l'aile roi semble très menaçante. [...] "Je dois sacrifier quelque chose", estime le maître, "mais quelle pièce ?"
Kotov analyse trois sacrifices qui paraissent prometteurs :
Kotov poursuit : "Combien de fois il a sauté d'une variante à l'autre, combien de fois il a pensé à telle ou telle tentative de gagner, il est le seul à pouvoir le dire. Mais maintenant, les problèmes de temps s'accumulent et le maître décide de "jouer un coup sûr" qui ne demande aucune analyse réelle : 26. Fc3. Hélas, c'était presque le pire coup qu'il aurait pu choisir".
Voici comment Kotov conclut cette histoire :
"Notez au passage que les blancs ont eu tort de rejeter le 26. Cg4 :"
J'ai été fasciné par cette histoire lorsque je l'ai lue pour la première fois. Pourtant, à 11 ans, je ne comprenais pas pourquoi les blancs avaient décidé d'abandonner après avoir joué 26.Fc3. Oui, la position après 28...h4 ne semblait pas très bonne mais ce n'était définitivement pas celle où vous alliez coucher votre roi !
Ce n'est que bien des années plus tard que j'ai appris ce qui s'était réellement passé dans ladite partie. Vous vous souvenez que j'ai mentionné que parfois Kotov préférait déformer les faits pour faire valoir son point de vue ? C'est exactement le cas. En fait, "déformer les faits" est peut-être un euphémisme. C'est plutôt une vieille blague russe :
Deux amis se parlent au téléphone.
— Tu as entendu dire qu'Alexey Ivanov avait gagné un million de dollars dans un tournoi de poker ?
— Eh bien, tout d'abord, c'était Nikolay Petrov, pas Alexey Ivanov, et il jouait au backgammon, pas au poker et c'était juste cent, pas un million, et c'était des roubles, pas des dollars, et en fait il a perdu, pas gagné !
Dans les éditions russe et anglaise de son livre, Kotov omet commodément les noms des joueurs, alors voici pour vous la vraie partie :
Comme vous pouvez le voir, les blancs n'ont pas joué les coups mentionnés par Kotov. De plus, ils n'ont pas perdu la partie mais ont fini par faire nulle !
D'ailleurs, Kotov n'a pas mentionné un coup candidat très fort que les blancs devaient considérer. En fait, ce coup permettait de gagner la partie sur-le-champ. J'ai montré cette position à mes étudiants et tous ceux qui ont un élo supérieur à 1800 ont facilement trouvé la solution. À votre tour !
Malgré ses failles évidentes, le livre de Kotov vous aide à systématiser votre réflexion. Comme il l'explique, vous devez d'abord trouver tous les coups candidats et ensuite seulement commencer à analyser chacun d'entre eux, en essayant de déterminer lequel est le meilleur. Il est ironique que dans la position mentionnée ci-dessus, Kotov n'ait pas suivi ses propres conseils et ait raté le coup candidat qui gagnait la partie sur le champ.
J'espère avoir réussi à aiguiser votre appétit et que vous lirez donc cet excellent livre signé par le controversé Kotov.