Ian Nepomniachtchi : à la découverte du Challenger

Il est étonnant de constater que tous les champions du monde contemporains sont nés quelque part à la périphérie du vaste empire plutôt que dans ses plus grandes villes et centres échiquéens, comme Moscou ou Leningrad. Anatoly Karpov a vu le jour à Zlatoust, dans l'oblast de Tcheliabinsk, dans la région de l'Oural. Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan, la ville natale de Garry Kasparov, ne comptait que quelques forts joueurs dans sa jeunesse. Vladimir Kramnik est né à Tuapse, une station balnéaire pas trop loin de Simferopol, la ville natale de Sergey Karjakin, challenger du Championnat du Monde 2016.

Ian Nepomniachtchi (alias "Nepo") suit cette tendance, peut-être due au fait que les échecs sont très populaires dans tous les coins des anciens pays soviétiques. Il est né le 14 juillet 1990 à Bryansk, une vieille ville de 400 000 habitants située à 350 kilomètres de Moscou.

• Les débuts
• Championnats jeunes
• Sa rencontre avec Magnus
• Étape suivante
• Premières ouvertures
• Grosse année
• Distractions
• Une progression continue
• Nouveautés
• Inconsistances
• Combats en Coupe du Monde
• Candidat et challenger
• Le match

Les débuts

Il y a 30 ans, les échecs étaient en plein essor à Bryansk. Evgeny Gleizerov est devenu le premier GM local et le célèbre entraîneur et MI Valery Zilberstein a déménagé de Novosibirsk pour s'y installer. Cet engouement n'a pas tardé à porter ses fruits - un prodige aux yeux brillants d'intelligence et à l'érudition troublante est apparu. Ce n'était pas une surprise : le grand-père de Ian Nepomniachtchi était un éducateur célèbre dans la région et un poète lyrique. Ian a appris les règles du jeu d'échecs avant l'âge de cinq ans, et à sept ans, il a signé quelques succès précoces. 

Ian a ensuite eu la chance d'avoir pour tuteur le MF Valentin Ekimenko, qui était fasciné par son élève. Il l'accompagnait à divers tournois et passait presque tout son temps avec lui. La progression du garçon était constante : première catégorie, Candidat Maître, premières victoires contre des joueurs de niveau Maître et ainsi de suite.

The 2021 World Championship Challenger, Ian Nepomniachtchi, pictured with the 12th World #Chess Champion, Anatoly Karpov.
(Photo via https://t.co/DG2ShlDgjx.) pic.twitter.com/2pF3y2rF41

— Douglas Griffin (@dgriffinchess) April 26, 2021

Ekimenko s'est vite rendu compte que l'étoile montante avait besoin d'un meilleur entraîneur et l'a confié à Valery Zilberstein, décédé en 2005, mais qui a pris Ian sous son aile durant ses premières années. Son élève, reconnaissant, organise d'ailleurs chaque année le tournoi commémoratif Zilberstein à Bryansk. Les premières éditions se sont tenues à une échelle modérée, puisque Nepomniachtchi assurait lui-même le financement des prix, mais la dernière édition a été soutenue par le gouvernement régional. Ainsi, le Mémorial Zilberstein 2021 est devenu l'un des événements les plus forts du calendrier échiquéen national. Mais revenons à la jeunesse de Nepo. 

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Championnats jeunes

Nepomniachtchi devient rapidement champion d'Europe et du monde chez les jeunes, malgré des concurrents exceptionnellement forts, également nés en 1989-1991. Seul Karjakin s'est épanoui très tôt et a préféré les tournois pour adultes, contournant les compétitions jeunes. La liste des autres stars en devenir était impressionnante : Magnus Carlsen, Maxime Vachier-Lagrave, Dmitry Andreikin, Wang Hao, Le Quang Liem et Sergey Zhigalko, tous deviendront de forts GMs. L'ami de Ian, le GM Ildar Khairullin était également un talent très prometteur à cette époque.

Au niveau national, Ian a été encadré par l'entraîneur de l'équipe russe des jeunes, le GM Sergey Janovsky, qui avait le don inestimable et rare de trouver des sponsors. Ian affirme que Janovsky n'était pas seulement son entraîneur, mais aussi son ami. Janovsky soutient toujours son élève préféré en tant qu'entraîneur principal des équipes russes. 

Rencontre avec Magnus

Nepomniachtchi et Carlsen se sont rencontrés pour la première fois en 2002 lors de la cinquième ronde du championnat d'Europe des moins de 12 ans à Peniscola, en Espagne. Nepomniachtchi était favori avec un Elo de 2344 (seul Vachier-Lagrave était mieux classé avec 2359 ;  Khairullin était 2339 ; Andreikin 2332), tandis que le jeune Norvégien était un outsider évident : "seulement" 2250. Carlsen a surpris son adversaire avec la Défense Alekhine et a obtenu une meilleure position avant de se tromper. Ian n'a pas manqué cette occasion. Au classement final, Nepomniachtchi et Carlsen se sont partagés la première place, marquant neuf points chacun, mais le départage penchait en faveur de Ian.

L'année suivante, ils ont disputé une partie décisive à Khalkidhiki, en Grèce, lors de la phase finale du Championnat du Monde U-14. Le vainqueur devenait champion, tandis que le perdant n'obtenait pas de médaille. À cette époque, Carlsen était classé 2450 - déjà un soupçon plus que les 2447 de Nepomniachtchi - et jouait de manière plus agressive. Carlsen a sacrifié un pion pour prendre l'initiative, puis une qualité pour mettre le feu, puis une autre (!). Pourtant, Nepomniachtchi a réussi à garder la tête froide, a réfuté l'attaque et a fini par gagner.

À l'époque, Nepomniachtchi était souvent mentionné dans la presse russe et considéré comme la plus brillante étoile des échecs de sa génération. Janovsky faisait venir des entraîneurs de haut niveau pour les séances d'entraînement de Ian. Le jeune homme a beaucoup appris du célèbre MI Mark Dvoretsky, l'explorateur des plus profonds labyrinthes en finale et du GM Sergey Shipov, sparring partner de Kasparov. Ian utilise toujours les ouvertures signatures de Shipov comme la Grunfeld, la Française et d'autres débuts combatifs.

Étape suivante

Nepomniachtchi a presque remporté le championnat de Russie des moins de 18 ans à l'âge de 12 ans (seuls Kasparov et Gata Kamsky pouvaient se vanter d'un tel exploit dans les échecs soviétiques) ! Lors de la dernière ronde, il a attaqué férocement le leader du tournoi, le GM Igor Kurnosov (mort tragiquement en 2013 dans un accident de la route). Kurnosov était à court de temps, mais Ian a gaffé en échangeant les dames, après quoi le pion passé adverse filait à dame. Le garçon a éclaté en sanglots et a fait tomber les pièces : il était très ému par cet échec, même si ce n'était qu'un petit accroc dans sa trajectoire fulgurante.

Ian a participé chaque année aux tournois World's Youth Stars organisés à Kirishi et a remporté les première (en 2003) et cinquième (en 2007) éditions de ce fort événement (seul Carlsen n'a pu y participer en raison de son calendrier scolaire). En 2004, Nepo a joué pour la première fois dans le championnat russe de la Higher League et a pris sa revanche contre Kurnosov. 

Votre serviteur a rencontré Nepomniachtchi pour la première fois en ligne. Le jeune joueur se situait parmi les mieux classés sur Chessplanet et PlayChess. Ces premiers sites d'échecs ne soutiennent pas la comparaison avec le Chess.com moderne par leur audience, l'ampleur de leurs événements, ou la diversité de leurs fonctionnalités, mais à l'époque, de nombreux joueurs y passaient leurs jours et leurs nuits. 

Premières ouvertures

Je me souviens très bien que nous discutions sur Chessplanet et que Ian m'a montré un piège qu'il avait appris d'Igor Zaitsev, l'un des entraîneurs de Karpov. Oui, le scientifique en chef du laboratoire d'ouverture du champion du monde a également entraîné Nepo.

Tous les schémas d'ouverture de Nepomniachtchi n'ont pas résisté à l'épreuve des moteurs d'analyse, mais il avait une approche unique très créative. Par exemple, j'ai toujours été étonné par son traitement de la Défense Française :

Ensuite, la tour blanche s'est aventurée en h3 et tout d'un coup Nepomniachtchi a commencé une attaque puissante ! Il a joué de nombreuses parties sortant des sentiers battus dans cette variante et a ensuite pris le meilleur sur Ding Liren à deux reprises (dans des parties rapides).

Grosse année

En 2006, j'ai rencontré Nepomniachtchi en personne à l'Open de Moscou. Son comportement était incroyable - il semblait tout savoir et ne gaspillait pas son temps à réfléchir. Semblable à un jeune Viswanathan Anand, il n'utilisait même pas pleinement l'incrément et accumulait généralement plus de deux heures à la fin de la partie, tandis que son adversaire devait subir deux fois la pression du temps. Cependant, ce tournoi n'a pas été un succès pour lui. Nepomniachtchi a échoué à trouver un brillant sacrifice de dame dans sa partie contre Evgeny Najer, ratant ainsi l'occasion de terminer à une belle place.

En 2006, le jeune joueur a joué avec confiance dans le championnat de Russie Higher League, a battu les GMs Pavel Smirnov et Mikhail Kobalia à la fin de l'événement, et s'est qualifié pour la Superfinale du championnat de Russie ! Dans la Superfinale, il a gagné trois parties et en a perdu quatre, prouvant qu'il était un joueur créatif et combatif. Dans la dernière ronde, il a joué pendant plus de 100 coups contre le GM Evgeny Alekseev, qui a finalement été sacré. Nepomniachtchi a essayé de gagner une finale sans pion, manifestement nulle, avec un fou et un cavalier contre un cavalier. Cela en dit long sur sa ténacité et sa détermination. Nepomniachtchi joue pour gagner avec les deux couleurs et on ne trouve que peu de courtes nulles insipides parmi ses parties. 

Dans sa jeunesse, le GM Alexander Khasin, capitaine de l'équipe d'échecs Tomsk-400, avait été l'élève de Zilberstein, l'entraîneur de Nepomniachtchi. Ainsi, en 2006, il a été invité à jouer le rôle de remplaçant derrière les GMs Levon Aronian, Alexander Morozevich, Dmitry Jakovenko, Victor Bologan et Vladislav Tkachiev. Cette brillante équipe a remporté la médaille de bronze au championnat de Russie par équipes et l'or à la Coupe d'Europe des clubs. Lors de ce dernier tournoi, Nepomniachtchi a réalisé 4/4 - une belle démonstration de sa capacité à gagner pour l'équipe. Plus tard, il a joué pour différents clubs de Moscou, Saratov, Novosibirsk, Cheboksary et Yekaterinburg en tant que leader de l'équipe, montrant sa résistance dans les matchs décisifs. 

En 2007, Nepo a fini à la deuxième place du Tata Steel, derrière le GM expérimenté Michal Krasenkow, mais devant les GMs Emanuel Berg, Parimarjan Negi, Hou Yifan, et d'autres forts joueurs. Cette année-là, il est devenu GM et a dépassé les 2600. C'était un bel accomplissement, mais Carlsen participait déjà à des tournois d'élite. 

Nepo s'est qualifié pour son premier top tournoi en prenant la première place de l'Aeroflot Open en 2008. Rappelez-vous que chaque année, le vainqueur de l'Aeroflot Open recevait automatiquement une invitation au prestigieux tournoi de Dortmund.

Nepo a commencé avec 3/3, a battu le GM Aleksey Dreev, et a terminé vainqueur en solitaire avec 7/9. Dans la dernière ronde décisive, il a dominé le GM Le Quang Liem. Le gagnant était un génie sur l'échiquier et un jeune garçon farceur dans la vie. J'ai vu de mes yeux à l'hôtel comment Khairullin et Nepo ont inséré à dessein les cédules d'argent de la plus haute valeur qu'ils avaient sur eux dans le distributeur automatique pour produire un jet de pièces de monnaie jaillissant de la fente tandis que les garçons riaient et criaient "jackpot !".

Dortmund était la première occasion pour Nepomniachtchi de croiser le fer avec des joueurs de l'élite mondiale : Kramnik, Shakhriyar Mamedyarov, Vassily Ivanchuk et Peter Leko ! Ian n'a pas perdu la moindre partie, dominant au passage Loek van Wely et a partagé la seconde place.

Distractions

Maintenant, vous, cher lecteur, pouvez poser la question évidente : pourquoi, malgré un tel succès, le talentueux GM russe n'a pas été sous les feux de la rampe pendant les quelques années qui ont suivi ? Pourquoi est-il devenu un joueur de haut niveau bien plus tard que Carlsen, qu'il a si souvent battu dans les tournois de jeunes ? Je suppose que la raison en est la fascination de Ian pour les jeux sur ordinateur. L'assaut numérique sur l'humanité était imparable à l'époque.

Je me souviens bien du championnat de Russie Higher League, organisé à Novokuznetsk par le MI Maxim Ivakhin en 2008. L'hébergement et la restauration étaient excellents, mais il n'y avait pas de Wi-Fi dans les chambres, même si les joueurs pouvaient utiliser gratuitement certains postes de travail du club informatique de l'hôtel. 

Nepomniachtchi n'était pas simplement un visiteur fréquent de ce club - il y passait tout son temps à jouer à Dota 2, sauf lorsqu'il disputait des parties du tournoi et se préparait. D'accord, nous étions dans une sinistre ville de Sibérie et il n'y avait guère d'autres moyens de divertissement civilisé. Je ne savais pas non plus que Nepomniachtchi, alias FrostNova, était l'un des plus célèbres joueurs russes de Dota et un membre de l'équipe de cybersport TR, qui allait bientôt remporter la prestigieuse ASUS Cup Winter.

IIan a pourtant commencé par 3,5/4 et il semblait pouvoir se qualifier facilement pour la superfinale, mais il s'est esouflé en fin de tournoi et a terminé avec un score de 50 %. Dota a-t-il nui à son jeu aux échecs ? Il est difficile d'en juger, mais il est certain que cela n'a pas aidé.

Une progression continue

Mécontent de ce résultat, Ian s'est rendu à Serpukhov pour participer à la Coupe de Russie. Il a passé avec succès les trois premiers tours mais a perdu en quart de finale contre Nikita Vitiugov. L'année suivante, 2009, a apporté à Nepo des émotions mitigées. Il atteint la finale de la Coupe de Russie, mais perdu contre Evgeny Bareev.

Ce n'était pas une période brillante de la carrière de Ian, mais c'était le début de son travail avec le fort GM et champion d'Europe, le théoricien érudit et l'ami empathique... Vladimir Potkin. Leur duo s'est révélée invincible à l'Aeroflot 2008, mais leurs accomplissement en 2010 ont pris une autre ampleur. Nepomniachtchi est devenu champion d'Europe à Rijeka, en Croatie. Il a réalisé un impressionnant 9/11 en terminant par des victoires contre Baadur Jobava et Vladimir Akopian. 

Nepomniachtchi est venu à Irkutsk pour disputer le championnat russe de la Higher League en 2010 en tant que plus de 2700 et a pris la première place sans aucune contestation possible. Il a fait ses débuts pour la Russie aux Olympiades de Khanty-Mansiysk au premier échiquier de la deuxième équipe de jeunes. (Auparavant, il n'avait joué pour la Russie que lors des matchs annuels contre la Chine et d'autres compétitions amicales). Il a remporté la médaille de bronze individuelle, mais son équipe n'a pas pu glaner de médaille, car ses performances ont été affectées par le match perdu contre la France avec la participation du GM Sebastian Feller, par la suite disqualifié pour tricherie dans ce tournoi.

Nouveautés

À l'automne 2010, Nepomniachtchi a déménagé à Moscou et est entré à l'Université d'État de Russie (RSSU), où il a ensuite obtenu un diplôme avec mention. À la fin de l'année, il a remporté sa première superfinale du championnat de Russie en battant au départage Karjakin, un autre étudiant de la RSSU.

En 2011, Nepomniachtchi pouvait se targuer d'un impressionnant classement Elo de 2733. Il a été invité au Tata Steel, où il a pu défier les anciens champions du monde Anand et Kramnik, le numéro un mondial Carlsen, ainsi que Aronian, Vachier-Lagrave, Hikaru Nakamura, Anish Giri et d'autres stars. Nepomniachtchi a obtenu un score de 6/13, mais il a prouvé une fois de plus qu'il était un adversaire difficile pour Carlsen, qu'il a vaincu avec les noirs. Dans une interview pour 64-Chess Review (le principal magazine d'échecs russe), il a attribué son succès à Potkin, qui avait brillement prédit l'ouverture. Néanmoins, c'est Nepomniachtchi lui-même qui a joué énergiquement au moment critique. 

Inconsistances

C'était le début de son chemin tortueux vers les hauteurs de l'élite mondiale des échecs. Les fans soutenaient Nepomniachtchi comme un maximaliste et un gladiateur qui proposait toujours un beau combat, mais il revenait vaincu presque aussi souvent qu'il transperçait le bouclier adverse. En bonne forme, il pouvait battre des records et décimer les meilleurs joueurs, mais son Elo montait et descendait tel un yo-yo sans fin. Il était très frustrant de constater que ses pics de méforme coïncidaient souvent avec les qualifications pour le Championnat du Monde. 

En tant que joueur de l'équipe russe, Nepomniachtchi a remporté les championnats d'Europe et du monde, ainsi que deux médailles olympiques de bronze (en 2016 et 2018). Parfois, l'équipe nationale était même critiquée pour sa tactique "Tout pour Nepo" : les joueurs des trois autres échiquiers se contentaient de la nulle, tandis que Nepomniachtchi essayait de gagner avec les blancs et y parvenait généralement, surtout lorsqu'il était en bonne forme.

À l'époque, il existait une règle de "tolérance zéro", ce qui signifiait qu'un joueur perdait sa partie s'il arrivait en retard, même d'une seconde. Lors d'un championnat du monde par équipes, Nepomniachtchi a failli perdre sa partie à cause d'un sommeil trop lourd. Il s'est habillé dans l'ascenseur, s'est précipité dans la salle de jeu et est arrivé juste à temps pour jouer un coup à quelques secondes de l'échéance. Malgré ces circonstances, Nepomniachtchi a balayé son adversaire.

En 2013, Nepomniachtchi a partagé la première place au championnat d'Europe et à la Russian Higher League, a bien figuré au championnat du Monde de rapide et blitz, et a partagé la première place avec de la superfinale du championnat de Russie (même s'il s'est incliné dans les départages) avec Peter Svidler.

Combats à la Coupe du Monde

Cependant, l'événement le plus important de l'année a tourné à la débâcle. Au premier tour de la Coupe du Monde 2013, Nepomniachtchi a perdu 0,5-1,5 contre le GM Wei Yi, à l'époque un jeune Chinois relativement inconnu classé seulement 2551. Andreikin, le rival de Ian dans les championnats de jeunes, a atteint la finale contre Kramnik et s'est qualifié pour le tournoi des Candidats. Carlsen, ce Norvégien dominé par Ian dans son enfance, a remporté le Championnat du Monde face à Anand. 

En 2014, Nepomniachtchi est devenu vice-champion du monde de blitz. En 2015, il a remporté l'Open Aeroflot et a connu un début relativement meilleur à la Coupe du Monde. Nepomniachtchi a atteint le troisième tour pour affronter Nakamura jusqu'au tie-break de l'Armageddon. Le monde entier a vu Nakamura roquer en déplaçant sa tour avant son roi, puis remporter la partie. Nepomniachtchi a déposé une réclamation, mais le comité d'appel présidé par le chef de l'Union européenne des échecs Zurab Azmaiparashvili a rejeté sa demande. Le joueur russe ressemble à Sisyphe, indéfiniment contraint de faire rouler un rocher jusqu'au sommet de la montagne. Cette Coupe du Monde à Bakou a été remportée par un autre de ses pairs, Karjakin, qui s'est ensuite qualifié pour le match contre Carlsen.

Azmaiparashvili, who took a move back in a classical game, is now a member of an appeals committee. Feel the irony.

— Yan Nepomniachtchi (@lachesisq) September 20, 2015

Azmaiparashvili, qui a repris un coup en partie sérieuse, est maintenant membre du comité d'appel. Sacrée ironie.

2016 a été une bonne année pour Nepomniachtchi qui s'est adjugé la première place du tournoi de Hainan Danzhou et du Mémorial Tal à Moscou. En 2017, Nepomniachtchi a repris sa quête du tournoi des Candidats, participant désormais à la fois à la Coupe du monde et aux séries de Grands Prix FIDE.

Il a bien joué lors des étapes de Sharjah et de Genève des Grands Prix, mais une faible performance à Moscou l'a relégué à la neuvième place du classement final. Sa participation à la Coupe du monde, qui se tenait à Tbilissi, s'est à nouveau terminée lors du troisième tour. Il a donné une tour à Jobava en départage et a abandonné après sa capture. De tels malheurs pouvaient ruiner la confiance et la motivation de tout athlète, mais Nepomniachtchi se préparait à une nouvelle ascension.

Il demeurait la bête noire du champion du monde en remportant sa quatrième victoire contre Carlsen au London Chess Classic en 2017. Cette fois, le Norvégien s'est montré très coopératif. Dans une position égale, il a sacrifié un pion pour l'initiative et a ensuite gaffé une pièce. Il a fallu attendre l'étape du Grand Chess Tour 2019 en Croatie pour que Carlsen obtienne enfin sa première (et à ce jour unique) victoire en classique contre Nepomniachtchi. 

Nepomniachtchi loses to @MagnusCarlsen, but @lachesisq sneakily puts the kings on white squares to register a white win 😂#TSChessIndia #GrandChessTourhttps://t.co/nVLjkIlNqs pic.twitter.com/cU0pCjt900

— Grand Chess Tour (@GrandChessTour) November 25, 2019

Nepomniachtchi a perdu contre Magnus Carlsen, mais a sournoisement placé son roi sur une case blanche pour signifier un gain des blancs.

Avant le début du nouveau cycle de Championnat du Monde 2018, Nepomniachtchi a remporté le Gideon Japhet Memorial à Jerusalem et le tournoi de Dortmund Sparkassen, devant Kramnik, pourtant décuple vainqueur de l'épreuve. C'était une remarquable passation de pouvoir. Peu après, le 14e champion du monde a mis fin à sa carrière professionnelle, laissant à Nepomniachtchi la place de leader des échecs russes.

Took the 1st place in Dortmund @SparkassenChess. Not without a bit of luck, however, but nevertheless I am very happy & satisfied. #chess #dochess #шахматы

— Yan Nepomniachtchi (@lachesisq) July 22, 2018

La Coupe du monde 2019 a confirmé que les formats à élimination directe ne lui convenaient pas. Bien que classé 2776 et bénéficiant d'un tableau à sa portée, il a trébuché contre Yu Yangyi en huitième de finale, après avoir passé trois tours.

Une autre voie de qualification s'est révélée plus fructueuse pour Ian, même s'il s'agissait à nouveau d'un format à élimination directe. Nepomniachtchi a remporté deux étapes des Grands Prix FIDE, à Moscou et à Jérusalem, glanant ainsi son sésame tant attendu pour le Tournoi des candidats ! Il ignorait alors que cet événement allait connaître un déroulement unique dans l'histoire des échecs.

Candidat et Challenger

Le tournoi des Candidats a débuté en mars 2020 à Ekaterinbourg. Toutefois, sa seconde moitié a été reportée en raison de la pandémie de COVID-19. Lors de la première moitié, Nepomniachtchi a réalisé un score de 4,5/7, partageant la première place avec son bourreau de la ronde 7, Vachier-Lagrave.

La pause a duré plus d'un an. Alors que le monde cherchait un remède ou au moins un vaccin pour enrayer la maladie, les candidats ont essayé de garder la forme aux échecs. Wang Hao n'a pas été à la hauteur de cette tâche : il a perdu de nombreuses parties au cours de la seconde moitié, et a déclaré que sa carrière échiquéenne était terminée ! De brillants joueurs comme Vachier-Lagrave, Caruana et Ding n'ont pas non plus joué à leur meilleur niveau, mais nous prenons un peu d'avance sur l'histoire.

Pendant le confinement, Nepomniachtchi a disputé de nombreux tournois en ligne et a gagné l'or avec l'équipe russe à la première Olympiade FIDE en ligne jouée sur Chess.com. Dans le Champions Chess Tour, il a parfois battu le champion du monde, même si le score global fut en faveur de Carlsen. Dans une interview, Nepomniachtchi a déclaré qu'il s'était fixé une tâche spécifique dans ces tournois en ligne : arrêter de jouer avant de réfléchir. Cette précipitation lui a coûté très cher par le passé. 

Nepomniachtchi a révélé son amour non seulement pour les échecs mais aussi pour le "Quoi ? Où ? Quand ?", un jeu télévisé intellectuel extrêmement populaire en Russie. Il y a joué dans le format ouvert, a récemment participé à l'émission de télévision et a également commenté une série de parties d'échecs thématiques sur la chaîne russe de Chess.com avec Aleksandra Kosteniuk et le GM Evgeny Tomashevsky, 

À la fin de l'année 2020, Nepomniachtchi a remporté la superfinale du championnat de Russie, son seul tournoi devant l'échiquier pendant la pause des Candidats qui a duré un an. Il est ainsi devenu champion national pour la deuxième fois de sa carrière et a montré qu'il était prêt à relever de sérieux défis.

Le Match

Le tournoi des Candidats a donc finalement repris en avril 2021. Nepomniachtchi l'a emporté une ronde avant la fin, gagnant ainsi le droit de défier Carlsen pour la couronne mondiale en novembre 2021.

Est-il déjà arrivé dans l'histoire des échecs qu'un joueur considéré comme le rival le plus dangereux du champion le défie finalement après de nombreuses occasions manquées ? Il existe quelques exemples : Boris Spassky, le plus grand prodige soviétique, qui a affronté Tigran Petrosian à deux reprises après plusieurs tentatives ratées - ce qui aurait pu l'empêcher d'égaler l'exploit de son pair, Mikhail Tal, devenu un jeune champion du monde. Ou Kramnik, qui a disputé son match contre Kasparov sous les auspices et au gré de Caissa la toute-puissante. Anand et Kamsky, les autres stars de cette génération, avaient acquis l'expérience des matchs de championnat bien plus tôt, mais c'est Kramnik, vaincu à plusieurs reprises lors des étapes précédentes, qui a finalement renversé Kasparov.

Les aléas du destin ont guidé le monde des échecs vers un match de Championnat du Monde FIDE Carlsen-Nepomniachtchi, et il est maintenant sur le point de commencer !