Les dix plus belles parties d'échecs de 2018
L'année échiquéenne se termine, et une question se pose : que restera-t-il de cette cuvée 2018 ? Le championnat du monde de parties nulles à Londres ? L'incroyable série de Ding Liren ? Le changement de régime à la tête de la FIDE ? Les poissons d’avril de la rédaction de Chess.com ?
Le temps nous le dira, mais pour l'instant, intéressons-nous à ce qui s'est passé sur l'échiquier, avec les plus belles batailles de l'année écoulée. Les rédacteurs de l'équipe de Chess.com (@peterdoggers, @danielrensch, @samcopeland, @Luisfsiles, @rakesh, @pete et @mikeklein) ont eu le plaisir de classer les parties les plus mémorables de 2018. Chaque membre du panel a proposé ses dix parties préférées, la première obtenant dix points, la deuxième neuf points, et ainsi de suite.
La photo préférée de notre directrice du contenu russe. — Maria Emelianova/Chess.com
Retrouvez ci-dessous les parties classées de la dixième à la première place. Et ne manquez pas la série de vidéo à venir par le GMI Simon Williams, dans laquelle il nous présentera ses parties préférées de l'année.
- 10 : Jobava-Sulskis (Olympiades)
- 9 : Kramnik-Caruana (Tournoi des Candidats)
- 8 : Leko-Vachier-Lagrave (Olympiades)
- 7 : AlphaZero-Stockfish (Match à Londres)
- 6 : Praggnanandhaa-Ravi, (Open Chess.com de l'île de Man)
- 5 : Ding Liren - Duda (Olympiades)
- 4 : Senpai-Stockfish (CCC Chess.com)
- 3 : Paravyan-Golubov (Mémorial Kortchnoï)
- 2 : Aronian-Kramnik (Tournoi des Candidats)
- 1 : Hillarp Persson-Laurusas (Olympiades)
10. Jobava-Sulskis, Olympiades (16 points)
Cette partie méritait au moins une mention honorable, ne serait-ce que pour les deux premiers coups. Baadur Jobava, au premier échiquier de l'équipe locale, ouvre par 1.b3, et Sarunas Sulskis répond 1...a5!?, que le géorgien n'hésite pas à contrer par 2. a4!?
On s'est demandé un instant si c'était le fantôme de Tony Miles qui affrontait un enfant de quatre ans, mais il s'agissait bien de l'Olympiade d'échecs ! Sulskis a ensuite joué une partie d'attaque puissante. Avec une tour de moins pendant vingt coups, il a réussi à harceler le roi blanc jusqu'au bout et offre la victoire à la Lituanie dans ce match pour la dixième place.
Baadur Jobava au centre de l'attention devant son public. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com
9. Kramnik-Caruana, Tournoi des Candidats (17 points)
Vladimir Kramnik a été un des joueurs les plus intéressants à suivre lors du tournoi des candidats de Berlin, la moitié de ses parties se soldant par des résultats décisifs. Malgré un échange de dames rapide, cette partie va être acharnée. Les deux joueurs obtiennent des pions passés sur la septième rangée au même moment, mais au 32ème coup, quelque chose de plus insolite encore va se produire : Toutes les pièces blanches sont sur l'aile dame tandis que la quasi-intégralité des pièces de Fabiano Caruana sont de l'autre côté !
L'américain va finalement mettre un autre pion sur la septième, tandis que l'ex-champion du monde a un avantage de quatre contre zéro à l'aile dame. Caruana donne une tour, et les deux rois s'engagent dans une course-poursuite échevelée. Quelle partie !
La discussion entre Vladimir Kramnik et Fabiano Caruana a continué longtemps après la partie. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com
8. Leko-Vachier-Lagrave, Olympiades (18 points)
Si l'on vous avez dit que Maxime Vachier-Lagrave ferait partie de la liste avec une Najdorf, vous n'auriez, j'imagine, pas été surpris outre-mesure. Grâce à (ou à cause de) cette ouverture sans concession, le numéro 1 français se retrouve souvent des des positions rocambolesques . Pourtant, certains inconscient continuent encore à la défier sur son terrain !
Peter Leko est l'un d'eux. Il accepte les sacrifices de Maxime, puis exfiltre son roi vers l'autre aile. Les noirs refusent ensuite la nulle (impossible si l'on veut finir dans le top 10 de l'année !) et lancent leur baroud d'honneur après le contrôle du temps, malgré la tour de moins. Le coup 41...Ff6 est particulièrement diabolique de par sa lenteur et sa précision !
L'une des plus grosses gaffes possibles : Jouer la Najdorf contre MVL ! | Photo : Maria Emelianova/Chess.com
7. AlphaZero-Stockfish, Match à Londres (19 points, dont une première place)
Que dire ? L"histoire retiendra sans doute que la chute de l'humanité a commencé avec cette partie. AlphaZero se moque éperdument de tout ce que vous a appris votre prof d'échecs.
Attaquer avant de roquer ? Pas de soucis. Laisser une pièce en prise ? Pourquoi pas. Pousser les pions a et h dans l'ouverture ? Absolument. Mettre son fou f1 en h3, puis le ramener en f1 ? Bon, vous avez compris le principe... Maintenant, admirez !
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6. Praggnanandhaa-Ravi, Open Chess.com de l'île de Man (20 points)
Le futur des échecs appartient aux ordinateurs, mais aussi aux petits ados indiens. Dans cette partie, Pragg sacrifie le pion b, mais ce n'est qu'une mise en bouche. Avec l'aide de son propre ordinateur organique (son cerveau, quoi !), il laisse un cavalier en prise pour prendre en e4, avant de faire rentrer sa tour en force dans la position noire.
A partir de 24.e6!, il n'y a plus qu'à conclure. Les pièces noires sont en piteux état. Désolé, si vous vouliez un jour battre une future star, c'est trop tard, ce jeune indien est déjà trop fort.
Il a l'air gentil, mais c'est un vrai tueur sur l'échiquier. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com
5. Ding Liren-Duda, Olympiades (27 points)
Il est presque injuste de mentionner une défaite polonaise aux dernières olympiades tant cette équipe a été héroïque, mais il serait tout ainsi injuste d'oublier celui qui s'est avéré quasiment imbattable en 2018. La série de parties sans défaites de Ding a en effet atteint les trois chiffres, malgré de nombreux clashs contre les meilleurs joueurs du monde et même une période de handicap physique !
Cette partie possède de nombreux attributs de l'époque romantique. Les blancs ouvrent le centre pour se focaliser très rapidement sur le roi adverse. Il est intéressant de noter que le combat aurait pu se solder par une nulle très précoce dans le cadre d'une compétition individuelle, mais ici, Ding évite la répétition après avoir vu les parties de ses coéquipiers !
Bien que ce critère n'existe pas à proprement parler, précisons également que cette partie a eu une influence immense sur le résultat final de ces olympiades. Certains juges n'y ont sans doute pas été insensibles !
L'interview de Ding Liren (en anglais) après sa superbe victoire contre Duda.
4. Senpai-Stockfish, Chess.com Computer Chess Championship (37 points)
A cause de son nouveau challenger AlphaZero, Stockfish s'est souvent retrouvé du mauvais côté des plus belles parties de cette année 2018. Mais le poisson open source nage toujours avec aise dans les positions aiguës, comme il l'a à nouveau prouvé lors du Computer Chess Championship.
S'il existait un classement pour le "coup de l'année", nul doute que 15...Fg3!! aurait remporté la timbale. Pendant la majorité de la partie, Stockfish semble se moquer éperdument de l'équilibre matériel, sacrifiant même une seconde pièce mineure pour augmenter la pression.
S'agissant d'une partie entre ordinateurs, il y a de bonnes chances qui vous soyez passé à côté de cette partie brutale, mais il est temps de vous rattraper :
3. Paravyan-Golubov, Mémorial Kortchnoï (39 points, dont une première place)
Et il est fort probable que cette partie vous ait également échappé ! Mea culpa, nous n'avons pas parlé du Mémorial Kortchnoï cette année, mais nous en avons tout de même extrait cette pépite :
C'est la seconde défense russe de notre top 10, mais celle-ci n'a jamais atteint la finale. Le jeune GMI russe David Paravyan, 20 ans, s'en est assuré en offrant un cavalier, puis un autre, puis un fou, puis sa dame (deux fois de suite !), et enfin une tour ! Si ce joyau n'a obtenu que la troisième place, on peut dire que 2018 a été une année fertile !
2. Aronian-Kramnik, Tournoi des Candidats (49 points, dont trois première places)
Un autre candidat sérieux au titre de coup de l'année 2018 : 7...Tg8!! par le grand Vladimir Kramnik. Un coup qu'il a déclaré avoir trouvé des années auparavant. Il ne s'attendait pas à l'utiliser contre Levon Aronian, qu'on avait peu vu jouer 1.e4 avant cette année.
L'ex champion du monde a enchaîné avec brio, mettant sur pied une attaque précise et regorgeant de sacrifices.
"L'une des plus belles parties que j'ai jamais vue" selon Alexander Grischuk. "Fantastique du début à la fin, absolument incroyable."
Aronian semble marqué par le "massage" que vient de lui imposer Kramnik. | Photo : Maria Emelianova/Chess.com
1. Hillarp Persson-Laurusas, Olympiades (53 points, dont deux première places)
2018, c'est aussi l'année du retour du Tigre. Non, pas celui-là. On parle ici du grand-maître suédois Tiger Hillarp Persson, que l'on a pas encore totalement perdu au profit du Go. Il prouve en effet qu'il lui reste beaucoup de créativité à revendre aux échecs.
Bien que techniquement, ce ne soit pas aussi "propre" que la prestation de Kramnik, comment résister à la joie de voir un roi courageux remonter tout l'échiquier bille en tête dans le milieu de partie ? Et pas simplement pour sa survie, mais pour jouer un rôle actif dans le mat de son adversaire.
Bien sûr, on pensera à la mythique partie Short-Timman (comme Nigel Short, Hillarp Persson passe par f4, g5 et h6), mais le fait que tout le monde pense immédiatement à la même partie prouve qu'il s'agit d'une exception qui confirme la règle. Cet exploit semble totalement impossible, et pourtant, ces deux hommes l'ont réalisé.
On vous laisse avec cette incroyable marche du roi, élue meilleure partie de 2018 par notre panel !
Comment chasser un tigre ? Certainement pas en l'invitant dans sa propre tanière ! | Photo : Mike Klein/Chess.com
Alors, qu'est-ce qui fait une "grande partie" ? Des critères subjectifs, évidemment. Des sacrifices spectaculaires ? Un combat interminable ? L'avènement des machines ?
Ce qui est sûr, c'est que la barre était très haute cette année. Magnus Carlsen revenant du diable Vauvert pour battre Gawain Jones avec une pièce de moins à Wijk aan Zee ? Du bel ouvrage, mais pas suffisant pour figurer dans le top 10. Hikaru Nakamura venant à bout de Valentina Gunina au bout de l'effort à Gibraltar (135 coups) ? Épique, mais pas assez. Le champion du monde jouant la folklorique variante portugaise de la scandinave en PRO Chess League, et mettant son roi en f7 dès le septième coup ? Clairement insuffisant.
Voici une liste des mentions honorables. Ces parties ont reçu au moins un point de notre panel, mais sans parvenir à figurer dans le top 10 :
- 15 points: AlphaZero-Stockfish, Match à Londres
- 14 points: Carlsen-So, Tata Steel
- 12 points: LC0-Shredder 13, Chess.com Computer Chess Championship
- 11 points: Carlsen-Caruana, Championnat du monde (Partie 6)
- 9 points: Carlsen-Jones, Tata Steel
- 8 points: Stockfish-AlphaZero, Match à Londres
- 6 points: Vaibhav-Carlsen, PRO Chess League
- 5 points: Aronian-Mamedyarov, Olympiades
- 4 points: Svidler-Mamedyarov, Tata Steel
- 3 points: So-Carlsen, Norway Chess; Caruana-Carlsen, Championnat du monde (Partie 10)
- 1 point: Karjakin-Caruana, Tournoi des candidats ; Nakamura-Gunina, Gibraltar
Vous n'êtes pas d'accord avec nous ? Qu'à cela ne tienne ! Donnez-nous votre top 10 en commentaires !