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Pourquoi le match du siècle a failli ne pas avoir lieu ?

Pourquoi le match du siècle a failli ne pas avoir lieu ?

PeterDoggers
| 47 | Autour des échecs

Il y a aujourd'hui 50 ans, le 1er juillet 1972, la cérémonie d'ouverture du Championnat du Monde d'échecs entre le tenant du titre Boris Spassky et son challenger Bobby Fischer se déroulait à Reykjavik, en Islande.

Cependant, Fischer est absent et la première partie, prévue le lendemain, ne sera disputée que 10 jours plus tard. Le match du siècle, qui a captivé des millions de fans d'échecs et a provoqué un pic de popularité du jeu dans le contexte de la guerre froide, a connu des préparatifs des plus mouvementés.

Fischer est déjà une star dans le monde des échecs, mais ses victoires retentissantes contre les GMs Mark Taimanov (6-0), Bent Larsen (6-0) et Tigran Petrosian (6,5-2,5) lors des matchs des Candidats de 1971 l'ont également rendu célèbre auprès du public non initié. Les grands médias lui consacrent régulièrement des articles, et le président Nixon lui a même écrit une lettre pour lui faire part du soutien du pays.

Bobby Fischer chess.com

À la fin de l'année 1971, 15 offres sont déposées pour accueillir le match (un record !) : Amsterdam, Athènes, Belgrade, Bled, Bogota, Buenos Aires, Chicago, Dortmund, Montréal, Paris, Reykjavik, Rio de Janeiro, Sarajevo, Zagreb et Zurich. Selon le GM Max Euwe, ancien champion du monde et président de la FIDE à l'époque, les offres les plus élevées sont celles de Belgrade (152 000 dollars de prix), Reykjavik (125 000 dollars) et Sarajevo (120 000 dollars), soit environ 10 fois plus que toutes les dotations précédentes pour un match de Championnat du Monde.

Dans The Match Of All Time, qui a récemment été traduit en anglais, Gudmundur Thorarinsson, président de la Fédération islandaise des échecs à l'époque, a écrit qu'il ne croyait pas beaucoup à la tenue du match dans son pays :

"Pour illustrer le peu d'intérêt que je portais à cette question, je n'ai pas envoyé l'offre aux bureaux de la FIDE dans les délais impartis, estimant que notre travail sur l'offre était une perte de temps totale. J'ai appelé Freysteinn Thorbergsson et lui ai demandé de se rendre à Amsterdam pour remettre notre offre en personne au siège de la FIDE où les offres seraient ouvertes. Ce qu'il a fait avec beaucoup de compétence".

The Match of All Time book cover
The Match of All Time par Gudmundur Thorarinsson. Photo : New In Chess.

Selon le journaliste de Life Brad Darrach, qui a rassemblé ses articles dans le brillant ouvrage Bobby Fischer vs. the Rest of the World, Thorarinsson avait initialement prévu une dotation de 25 000 $, mais une semaine avant la clôture des enchères, il a lu une fausse information dans un magazine d'échecs allemand selon lequel l'Islande avait fait une proposition à hauteur de 100 000 $. Supposant que d'autres soumissionnaires essaieraient de faire mieux, il a fixé l'offre à 125 000 $. Thorarinsson ne fait en revanche aucune mention de cela dans son propre livre.

En outre, l'offre de Reykjavik mentionnait également qu'en plus de la dotation, les joueurs recevraient 30 % des revenus des droits télévisuels et cinématographiques. Se retrouvant en terrain inconnu, Euwe, 70 ans, suggère de diviser les revenus de manière égale entre les joueurs, les fédérations organisatrices et la FIDE, et envoie un télégramme à toutes les fédérations candidates à ce sujet. Belgrade n'est pas content et déclare que sa candidature est désormais incertaine. Euwe se rend à Belgrade le 15 janvier 1972 et propose 7 000 dollars pour faire passer la pilule s'ils remportent l'appel d'offres.

1972 World Chess Championship Fischer Spassky 50th Chess.com
Belgrade en 2021. Photo : Predrag Vuckovic/Wikimedia, CC.

Entre-temps, il a demandé à Fischer et à Spassky de soumettre leurs préférences en matière de ville hôte avant le 31 janvier 1972. Spassky a proposé Reykjavik, Amsterdam, Dortmund et Paris, tandis que Fischer a cité Belgrade, Sarajevo, Buenos Aires et Montréal.

Les nominations des joueurs ne se recoupant pas, la FIDE leur donne jusqu'au 10 février pour se mettre d'accord sur une ville hôte, faute de quoi Euwe prendra lui-même la décision. Ed Edmondson, président de la Fédération américaine des échecs et manager de longue date de Fischer, se rend à Moscou et donne son accord pour Reykjavik, à la condition que Fischer accepte.

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Edmondson, à gauche, avec Euwe en janvier1972. Photo : Bert Verhoeff/Dutch National Archives, CC.

Euwe est soulagé de recevoir un télégramme de Moscou stipulant que les parties se sont mises d'accord sur Reykjavik. Cependant, un nouveau télégramme de New York vient changer la donne : Fischer n'est pas d'accord ! Il qualifie Reykjavik de trop petit et primitif, et de "lieu stupide pour le match", une remarque qui nécessitera un "pansement diplomatique". Entre-temps, tout cela a mis en colère les responsables russes des échecs, qui accusent le président de la FIDE d'enfreindre le règlement.

La poire coupée en deux

Le très pragmatique Euwe a alors une idée remarquable : il demande aux deux plus gros enchérisseurs de partager le match. Belgrade accepte à condition d'obtenir la "première mi-temps", tandis que Reykjavik souhaite une réduction des coûts au cas où le match ne durerait pas les 24 parties.

Fischer accepte, et Edmondson déclare : "Euwe a coupé la poire en deux."

La décision d'Euwe ne plaît pas à tout le monde. Le secrétaire de la FIDE, H.J. Slavekoorde, également président du comité des règles de la FIDE, démissionne de son poste en signe de protestation. La Fédération russe des échecs se plaint également, faisant remarquer que Belgrade souffre d'un climat très chaud en été - très différent de celui auquel son joueur est habitué - et accuse de nouveau le président de la FIDE d'enfreindre le règlement. Euwe explique ses décisions lors d'une réunion du bureau de la FIDE déjà prévue les 2 et 3 mars à Moscou. La fédération russe reçoit peu de soutien et retire sa plainte à contrecœur.

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Euwe, ici en 1973, a dû négocier âprement pour satisfaire tous les partis. Photo : Rob Mieremet/Dutch National Archives, CC.

Après une réunion de 40 heures qui a débuté le 18 mars à Amsterdam, à laquelle la FIDE et les délégations islandaise et yougoslave sont présentes, la proposition de la double ville hôte est acceptée. La nouvelle dotation s'élèverait à 138 000 dollars (la moyenne des deux offres) et un système de paiement est mis en place en fonction du nombre de parties que pourrait durer la rencontre, de sorte que Belgrade supporterait la charge la plus lourde si la rencontre dure moins de 24 parties. 

Euwe lui-même n'a pas pu être présent en raison de voyages de bienfaisance en Australie et en Asie de l'Est. Il apprend le 20 mars à Sydney que les parties se sont mises d'accord et un contrat est signé par le GM Efim Geller au nom de Spassky et par Edmondson au nom de Fischer.

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Geller en 1973. Photo: Rob Mieremet/Dutch National Archives, CC.

Deux jours plus tard, Fischer n'accepte toujours pas la signature d'Edmondson et exige de Belgrade et de Reykjavik un changement des conditions, selon lequel les joueurs devraient profiter financièrement d'un revenu potentiel, et souligne que dans le cas contraire, il ne jouera pas. Il s'avérait qu'Edmondson n'avait plus le mandat de parler au nom de Fischer et que les deux hommes allaient bientôt cesser de travailler ensemble.

Cette fois, Euwe tient bon et donne à la Fédération américaine des échecs la date limite du 4 avril pour accepter les conditions du match. Rapidement, un télégramme revient disant que Fischer est OK, et tout semble en ordre.

Cependant, à ce moment-là, Belgrade, soutenu par une banque yougoslave, a perdu patience et exige un dépôt de 35 000 $ des fédérations d'échecs américaine et russe. Lorsque les Américains refusent, Belgrade se retire le 11 avril.

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Reykjavik était la dernière candidate en avril. Photo : Jakec/Wikimedia, CC.

L'intégralité du match en Islande

La Fédération islandaise des échecs propose alors d'accueillir le match  en entier, à condition que le jour de la première partie soit reporté du 22 juin au 2 juillet, ce qui est accepté. Dans un livre sur le match co-écrit par le GM Jan Timman, Euwe reconnaît être passé un peu outre le règlement, qui stipulait que le match ne pouvait pas commencer après le 1er juillet. Il estimait avoir de bonnes raisons : Fischer ne pouvait de toute façon pas jouer le samedi en raison de ses croyances religieuses, et la FIDE avait déjà décidé que cette date du 1er juillet devrait probablement être supprimée car elle excluait beaucoup de villes au climat chaud.

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Timman en 1974. Photo : Rob Mieremet/Dutch National Archives, CC.

Moscou accepte le match entier à Reykjavik, les États-Unis initialement non, mais dans un second télégramme le 6 mai, il est indiqué que "Fischer accepte mais sous réserve de protestation." Euwe écrit qu'après le match, il savait ce que signifiait " sous protestation " : " Je jouerai mais j'utiliserai toutes les occasions pour protester contre qui et quoi que ce soit. "

Thorarinsson, dans The Match of All Time :

"[Que] le match du Championnat du Monde d'échecs a mis l'Islande sur la carte est une opinion généralement admise. Je crois fermement que c'est Spassky qui a mis l'Islande sur la carte, car l'Islande était son premier choix, sans sa préférence nous n'aurions jamais été considérés."  

Frank Brady, biographe de Fischer, a suggéré que c'est Freysteinn Thorbergsson, une connaissance islandaise de l'Américain, qui l'a convaincu de jouer en Islande en soulignant la signification politique de ce pays. Anticommuniste forcené, Thorbergsson a rendu visite à Fischer aux États-Unis et a écrit plus tard dans un essai qu'une victoire de Fischer "porterait un coup à la propagande communiste".

C'était l'époque de la guerre froide, avec l'Occident et les communistes comme deux idéologies distinctes et dominantes. Un match d'échecs avec des représentants des deux camps, organisée exactement au milieu de l'Amérique et de la Russie, ne pouvait pas être plus symbolique, un point qui n'a pas échappé aux médias.

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Le monde était en pleine guerre froide. Image : Heitor Carvalho Jorge/Wikimedia, CC.

Fischer fait de nouvelles demandes

Le lieu du match est enfin décidé, mais les complications ne s'arrêtent pas là. Au cours des trois derniers mois précédant le début du duel, Fischer fait encore plus de bruit, principalement à propos des conditions financières. La dotation est de 125 000 dollars (environ 800 000 dollars d'aujourd'hui), dont 62,5 % reviennent au vainqueur et 37,5 % au perdant, sans compter les 30 % susmentionnés de tous les droits télévisuels et cinématographiques.

En outre, Fischer réclame également 30 % des billets vendus, et affirme que Spassky devrait également en recevoir une partie. Les organisateurs n'acceptent pas cette nouvelle demande.

Nous sommes au début du mois de juin 1972, Fischer passe son temps à Santa Monica, en Californie alors que pour se rendre en Islande, il doit passer par New York.

Le dimanche 25 juin, le jour où Fischer doit initialement arriver à Reykjavik, son bon ami et MI Anthony Saidy l'appelle et lui dit qu'il s'envole vers l'est le mardi pour voir son père, et lui demande s'il aimerait l'accompagner. Fischer est d'accord, et Saidy dira plus tard qu'il avait l'étrange sentiment que s'il n'avait pas appelé, Fischer ne serait jamais parti.

Avions ratés

Quelques jours plus tard, le 29 juin, Fischer a l'intention de prendre un vol à l'aéroport John F. Kennedy, et ses bagages sont déjà chargés mais, comme en témoignent les centaines de membres de la presse qui l'attendent, il s'enfuit du terminal et rate le vol. Il revient et passe les jours suivants dans la maison des parents de Saidy à Douglaston, dans le Queens, où il est également poursuivi par les journalistes.

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Les journalistes spécialisés sont descendus à l'aéroport JFK, vu du ciel en 2018, pour voir si un certain Bobby allait monter dans l'avion. Photo : Kenzie Abraham/Wikimedia, CC.

À Reykjavik, où Spassky est arrivé avec son entourage le 21 juin, quelque deux cents journalistes d'au moins 30 pays commencent à se demander s'ils sont venus pour rien. Beaucoup d'entre eux ont "les yeux rouges après s'être levés aux aurores pour prendre l'avion de New York à 5 heures du matin", écrit Darrach. "Ne pas voir Bobby descendre de ce DC-8 devenait une habitude désagréable."

À peu près à ce moment-là, le cinéaste new-yorkais Chester Fox, qui avait les droits de tournage et allait réaliser un documentaire, s'est vu demander par un journaliste s'il était inquiet du résultat de son investissement. Fox a répondu : "Je n'ai pas le temps de m'inquiéter. Je suis trop concentré a essayer de ne pas salir mon pantalon".

Euwe lui-même arrive en Islande le samedi 1er juillet, le jour de la cérémonie d'ouverture. Le matin, on peut voir Spassky jouer au tennis avec l'un de ses secondants, le MI Iivo Nei, sur un court proche de l'hôtel Saga. Lorsqu'un journaliste demande au champion du monde s'il pense que son adversaire va venir, Spassky rétorque : "Non, je ne pense pas que Robert James viendra."

Pendant ce temps, à Douglaston, des tentatives pour convaincre Fischer de jouer sont faites par Edmondson, Saidy et William Lombardy, un talentueux Grand Maître devenu prêtre et ami de Fischer, qui finira même par devenir son secondant.

Cérémonie d'ouverture

La cérémonie d'ouverture se tient comme prévu le soir du 1er juillet dans le théâtre national islandais de 500 places. Sont présents le président islandais et son épouse, des ambassadeurs, des représentants de la FIDE, des journalistes et d'autres invités. Un siège au premier rang reste toutefois vide.

En l'absence de Fischer, l'arbitre en chef du match, le GM Lothar Schmid, suggère de reporter le tirage au sort des couleurs au jour suivant. Après tout, le challenger pourrait prendre le vol de nuit afin d'arriver à temps pour la première partie...

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35 ans après le match, Schmid (au centre) avec Spassky (à gauche). Photo : Gerhard Hund/Wikimedia, CC.

Cependant, le lendemain, un télégramme de Saidy arrive, disant que Fischer ne peut pas jouer pour cause de maladie. Il est important de noter que le règlement du match ne permet un report de six jours maximum qu'en cas de maladie, mais un examen médical doit être effectué.

Que faire ? Attendre une copie de l'examen médical par télégramme ? Mais le document ne devrait-il pas provenir du médecin du match en Islande, maintenant que le match est en cours ? Mais... l'est-il vraiment ?

Ces questions sont abordées lors d'une réunion avec toutes les parties, qu'Euwe a convoquée. L'arbitre et les Russes affirment qu'un match est en cours lorsqu'il a été lancé lors de la cérémonie d'ouverture, mais Euwe se demande si "des discours et un violon" suffisent. Les Américains soutiennent quant à eux que le match ne commence qu'après le tirage au sort des couleurs.

Entre-temps, Fischer lui-même déclare au New York Daily News le 3 juillet : "Je ne suis pas malade. Je veux que mes exigences financières soient satisfaites, sinon je ne joue pas."

Un report de deux jours

Dans un autre moment de pragmatisme, Euwe propose alors un compromis : reporter le match de deux jours. Les Russes demandent du temps pour délibérer et après le déjeuner, ils déclarent qu'ils ne sont pas enthousiastes mais qu'ils ne protesteront pas. Euwe écrira plus tard : "Je n'ai laissé aucun doute sur le fait que si les Russes le souhaitaient, je disqualifierais Fischer instantanément, mais ils ont refusé d'entrer dans l'histoire comme les destructeurs du match du siècle."

Pendant ce temps, l'agence de presse russe TASS attaque le président de la FIDE, écrivant : "Euwe fait semblant de jouer une partie d'échecs. Au lieu de prendre lui-même la décision de disqualifier Fischer, comme le stipule le règlement, il tente de faire porter l'affaire sur les épaules du champion du monde."

Euwe fait semblant de jouer une partie d'échecs.
— TASS, Russian Press Agency

Euwe s'entretient à nouveau avec tous les officiels de la FIDE présents à Reykjavik et rend la décision officielle : un report de deux jours, le tirage au sort des couleurs étant désormais prévu pour le 4 juillet à 11 h 45 et la partie commençant à 17 h. Les Soviétiques, furieux, déposent malgré tout une plainte officielle, et Euwe reconnaît qu'ils ont raison de le faire.

Deux coups de téléphone décisifs

Le 3 juillet, Paul Marshall, l'avocat de Fischer, reçoit un appel téléphonique qui change tout.

James Derrick Slater est un banquier d'affaires britannique prospère et un amateur d'échecs qui a pris l'habitude d'offrir des prix anonymes à des événements échiquéens et à des joueurs talentueux. Après avoir lu dans le journal que Fischer avait des exigences financières et que le match risquait de s'effondrer, Slater appelle Leonard Barden - alors correspondant d'échecs pour l'Evening Standard, aujourd'hui âgé de 92 ans, il écrit toujours pour le Guardian - et lui dit qu'il veut donner 125 000 dollars, doublant ainsi la dotation du prix à 250 000 dollars.

Avec un producteur de la BBC, Barden appelle Marshall pour lui annoncer la nouvelle, après quoi Marshall veut l'entendre de la bouche même de Slater. Environ 10 minutes plus tard, Slater appelle pour confirmer, et convient avec Marshall de transmettre le message à Fischer : "Maintenant, sors et joue, poulet !" Fischer est évidemment ravi lorsqu'il apprend la nouvelle.

On ne sait pas s'il a été décisif ou non, mais un autre coup de téléphone célèbre a lieu le même jour. C'est Henry Kissinger, conseiller à la sécurité nationale de Nixon et futur secrétaire d'État, qui est au bout du fil.

henry kissinger chess.com
Henry Kissinger a pris les choses en main. Photo : White House Office, Public Domain.

Sa phrase d'introduction envers Fischer est restée célèbre : "C'est le pire joueur d'échecs du monde qui appelle le meilleur joueur d'échecs du monde", bien que Darrach l'ait fait commencer par "C'est l'un des deux pires joueurs d'échecs...". Kissinger fait valoir que le match est important pour le prestige des États-Unis et que Fischer doit y aller et jouer.

Ce soir-là, Fischer embarqye finalement dans un avion pour Reykjavik.

AP footage of Fischer's arrival.

Spassky craque

Arrivé à 7 heures du matin le 4 juillet à l'aéroport de Keflavik, Fischer est escorté par la police jusqu'à la capitale islandaise. Dès son arrivée, il décide que dormir est plus important que d'assister au tirage au sort des couleurs. Il signe une lettre selon laquelle Lombardy le représenterait, et ferme la porte de sa chambre.

Lorsque Lombardie déclare que Fischer est trop fatigué pour assister au tirage au sort, Spassky craque. Auparavant, ce sont les officiels de la Fédération russe des échecs qui avaient protesté contre le comportement de l'américain, mais finalement, le champion du monde lui-même en a assez. Il quitte rapidement l'hôtel Esja, mais déclare à un journaliste : "Je veux toujours jouer, mais je déciderai quand !".

Spassky (ou est-ce de Moscou ?) publie bientôt une déclaration officielle dans laquelle il écrit : "S'il y a maintenant un espoir de disputer le match, Fischer doit être condamné à une juste pénalité. Ce n'est qu'après cela que je pourrai revenir sur la question de savoir s'il est possible de jouer."

S'il y a maintenant un espoir de disputer le match, Fischer doit être condamné à une juste pénalité.
— Spassky

GM Boris Spassky Chess.com
Spassky a fini par voir rouge. Photo : Eric Koch/Dutch National Archives, CC.

Il s'avère que la "pénalité" demandée par les Soviétiques est le forfait de Fischer pour la première partie, comme le déclare Geller à un membre de la presse, ajoutant de façon quelque peu mystérieuse que Spassky "n'accepterait pas ce forfait". (Ils étaient loin de se douter qu'un forfait aurait lieu dans ce match après tout...).

Lors d'une réunion avec toutes les parties, les Soviétiques formulent trois autres demandes : que Fischer s'excuse, qu'Euwe condamne le comportement du challenger, et qu'Euwe reconnaisse que le report de deux jours a violé le règlement de la FIDE.

Un Euwe ému a immédiatement émis un morceau de papier sur lequel il a condamné le comportement de Fischer, admis qu'il avait violé les règlements de la FIDE et que les accords de match seraient strictement respectés à l'avenir. La FIDE télégraphie ensuite à la Fédération russe des échecs que la demande de forfait ne sera pas accordée.

Gourmandise ?

Demander à Fischer de s'excuser n'est pas une mince affaire, mais il le fait. Il écrit des excuses, se terminant initialement par la proposition que les joueurs renoncent à tout prix et jouent le match pour le seul plaisir des échecs. Il veut faire savoir à tous qu'il n'est pas cupide. Dans la version finale de la lettre, cette phrase est omise.

Alors que les médias grand public accusent Fischer d'être très intéressés (par l'argent), il existe probablement d'autres raisons pour lui de rendre la vie si difficile à la FIDE, à Spassky et aux organisateurs. L'une de ces raisons peut sembler étrange : la peur.

Le GM Nikolai Krogius, auteur d'un livre sur la psychologie aux échecs et qui faisait partie de la délégation de Spassky, a écrit : "C'est un fait que lorsque vous voyez Fischer devant l'échiquier, tout discours sur l'incertitude ou le manque de confiance semble absurde. Mais avant un tournoi important, il semble être proie aux doutes et aux vacillations."

Le GM Larry Evans a un point de vue similaire : "Depuis que Bobby s'est rapproché du sommet des échecs, dans son cœur s'est enracinée une peur de la défaite jusqu'alors peu caractéristique. À Reykjavik, il a été capable de surmonter sa peur, seulement après avoir senti qu'il avait perturbé l'équilibre émotionnel de Spassky."

GM Larry Evans Chess.com
GM Larry Evans. Photo : F.N. Broers/Dutch National Archives, CC.

Une autre raison est davantage liée à des principes. Fischer n'aime tout simplement pas l'idée que d'autres, notamment les organisateurs islandais, gagnent plus d'argent que lui sur le match. Il est la star, il est le Mohammed Ali de ce match, et il le sait.

Les excuses de Fischer

Dans une lettre remise à la chambre d'hôtel de Spassky, Fischer s'excuse de son "comportement irrespectueux" en n'assistant pas à la cérémonie d'ouverture. "Je me suis simplement laissé emporter par ma petite dispute pour de l'argent avec les organisateurs d'échecs islandais", écrit-il, et il s'excuse également auprès d'Euwe et "des milliers de fans d'échecs dans le monde". Fischer exhorte ensuite Spassky à ne pas continuer à exiger son forfait dans la première partie.

Je me suis simplement laissé emporter par ma petite dispute pour de l'argent avec les organisateurs d'échecs islandais.
— Fischer

Le même jour, Spassky est appelé par un haut fonctionnaire soviétique du nom de Sergei Pavlov, qui lui dit qu'il est désormais préférable que l'équipe russe revienne en Russie. Spassky, qui avait toujours refusé de rejoindre le Parti communiste, décline poliment.

Spassky apprécie la lettre de Fischer et déclare qu'il ne pourra pas jouer avant mardi (11 juillet) mais qu'il est impatient d'assister au tirage au sort. Ce tirage au sort a finalement lieu le vendredi soir 6 juillet, à Laugardalsholl, la salle de jeu. Fischer arrive avec 22 minutes de retard, mais c'est un soulagement pour toutes les personnes présentes que l'Américain se montre enfin.

Spassky serre le biceps gauche de Fischer en plaisantant, comme s'ils allaient disputer un match de boxe, et le résultat du tirage au sort est que le champion du monde commence avec les pièces blanches. En discutant du règlement du match, Spassky abandonne sa demande de forfait et Fischer accepte de reporter la première partie de quelques jours.

Cinq jours plus tard, le match commence enfin. Les préparatifs du plus célèbre affrontement d'échecs de l'histoire ont fait partie intégrante du combat !

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Peter Doggers

Peter Doggers joined a chess club a month before turning 15 and still plays for it. He used to be an active tournament player and holds two IM norms. Peter has a Master of Arts degree in Dutch Language & Literature. He briefly worked at New in Chess, then as a Dutch teacher and then in a project for improving safety and security in Amsterdam schools. Between 2007 and 2013 Peter was running ChessVibes, a major source for chess news and videos acquired by Chess.com in October 2013. As our Director News & Events, Peter writes many of our news reports. In the summer of 2022, The Guardian’s Leonard Barden described him as “widely regarded as the world’s best chess journalist.”

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