Que tirer d'une mauvaise partie ?
Il me semble que c'est le GMI Tartakover qui a dit : "Aux échecs, le sage apprend des erreurs des autres, le joueur intelligent apprend de ses propres erreurs, et l'idiot n'apprend jamais."
Soyons donc des sages et apprenons des parties des meilleurs du monde !
Question : quelles parties choisir ? Il serait tentant de privilégier une opposition entre deux joueurs à 2800 Elo, mais je peux vous assurer que généralement, un joueur de club moyen ne pourra pas tirer grand chose des ouvertures sophistiquées et des manœuvres subtiles jouées par les super GMI.
Ce sont les parties les plus laides qui fournissent le meilleur matériel pédagogique !
Aujourd'hui, je vous propose une partie d'un tel acabit, jouée entre deux maîtres du XIXème siècle. Emanuel Schiffers, qui joue les blancs, fut champion de Russie pendant dix ans, faisant sans conteste partie du top 20 mondial. Je ne vous ferais pas l'affront de vous présenter son adversaire, Mikhail Tchigorine, deux fois challenger de Whilelm Steinitz pour le titre mondial.
Tchigorine via Wikipedia.
Je suis incapable de vous dire comment Tchigorine, connu comme l'un des meilleurs théoriciens de son époque, a pu jouer une telle horreur. Le coup 2...f6 est sans doute l'un des plus mauvais dans cette position. Il ouvre la diagonale a2-g8, ce qui va rendre le roque très compliqué, et la faiblesse sur la diagonale h5-e8 va rendre le roi noir plus vulnérable encore.
Si cela ne vous suffit pas, demandez au cavalier g8 ce qu'il pense de ce coup, qui lui ôte sa principale case de développement. Le seul côté positif de 2...f6, c'est qu'il ne perd pas immédiatement !
Comment continuer avec les blancs ?
Oui, c'est le fameux gambit Damiano, qui n'a d'ailleurs de gambit que le nom, car les noirs perdent en force s'ils l'acceptent !
Bien que Tchigorine décline le sacrifice, sa position reste très mauvaise ! Punissez les noirs pour leur mauvais choix d'ouverture :
Le retour du cavalier en e5 s'est donc avéré mortel ! Les noirs perdent la dame, et la partie, sans doute ? En tout cas, c'est sans doute ce que s'est dit Schiffers. Mais aux échecs, à la moindre erreur d'inattention, la situation peut se retourner brusquement !
La combinaison noire, pourtant assez évidente à voir, change complètement la partie ! Maintenant, la décision la plus prudente pour les blancs est d'accepter la nulle par répétition. Mais Schiffers est borné, et veut à tout prix convertir son avantage matériel. C'est l'erreur fatale.
A vous de trouver la jolie combinaison qui met immédiatement un terme aux débats !
Étrangement, Tchigorine, pourtant connu pour son penchant pour la tactique, rate le mat forcé. Et pas une fois, mais deux !
L'ultime erreur de la partie survient lorsque les deux adversaires s'accordent à faire nulle :
Résumons :
- Le GMI Tchigorine a joué l'ouverture comme un débutant, perdant sa dame dès le 12ème coup !
- Schiffers n'a pas identifié les menaces noires et a laissé Tchigorine sacrifier une pièce, ce qui aurait du mener à une nulle forcée. En la refusant, les blancs se sont exposés à la défaite en offrant aux noirs la possibilité de mater en force !
- Un mat forcé que Tchigorine a raté deux fois de suite...
- Finalement, Schiffers a accepté la nulle dans une position pratiquement gagnante.
Les combinaisons ratées par les deux hommes étaient fort jolies, mais pas la partie ! Difficile de trouver un affrontement entre deux forts maîtres contenant autant d'erreurs. Pourtant, je n'échangerais pas cette partie contre douze berlinoises parfaites.
En effet, malgré toutes ses erreurs (ou plutôt grâce à elles !), cette partie est très intéressante. En outre, elle montre de manière pédagogique le résultat d'une erreur d'ouverture typique chez les joueurs inexpérimentés, en surtout, comment la punir !
J'espère que saurez tirer profit de ces coups thématiques et puissants.
Enfin, la prochaine que vous serez sur le point d'accepter la nulle dans une de vos parties, souvenez-vous de l'erreur de Schiffer, et continuez à chercher un moyen de gagner !