Sept magiciens des finales
Les finales. Ce moment dans une partie d'échecs peut évoquer à lui seul bien des sentiments chez les joueurs, allant de la confiance à la crainte en passant parfois par le désespoir. Certains les adorent, d'autres leur vouent une haine sans faille.
Il existe une part de vérité dans le vieux dicton soviétique selon lequel les joueurs d'échecs amateurs "jouent l'ouverture comme des Grands Maîtres, le milieu de jeu comme des experts et les finales comme des débutants". En général, la plupart des joueurs passent beaucoup trop de temps sur les ouvertures et le milieu de jeu et négligent les finales, pourtant tout aussi importantes. Alors comment s'améliorer dans cette phase si technique ? En apprenant des meilleurs, bien sûr !
Aujourd'hui, nous allons nous focaliser sur les plus grands spécialistes de l'Histoire en finale. L'une de leurs caractéristiques la plus remarquable est que chacun d'entre eux était capable de battre les meilleurs joueurs du monde à partir de positions à peu près égales.
Ces champions ont répété tout au long de leur carrière cet exploit grâce à leur capacité à transformer le plus petit des avantages en une finale gagnante. Leurs pièces trouvant toujours les cases parfaites aux moments clé, ils pouvaient punir la plus imperceptible précision. Ils possédaient donc cet incroyable talent de créer quelque chose à partir de rien - je n'y vois rien d'autre qu'une forme de magie !
Alors sans plus attendre, découvrons ensemble nos sept magiciens des finales :
- Jose Raul Capablanca
- Akiba Rubinstein
- Ulf Andersson
- Magnus Carlsen
- Salomon Flohr
- Vasily Smyslov
- Anatoly Karpov
- Conclusion
Jose Raul Capablanca
Il est tout simplement impossible de ne pas commencer par Jose Raul Capablanca quant il s'agit de finales. Le troisième champion du monde est connu pour ses talents légendaires dans ce compartiment du jeu et pour les huit années entre 1916 et 1924, au cours desquelles il n'a pas perdu la moindre partie en tournoi.
Sa technique incarnait l'évidence, et la naturel avec lequel il enchainait les coups les plus précis lui permettaient de largement sortir du lot par rapport à ses rivaux. Capablanca a signé de nombreuses victoires très instructives en finale et l'étude de son jeu est obligatoire si vous souhaitez progresser en fin de parties.
Dans cette première position, nous voyons Capablanca avec les pièces noires contre la légende américaine des échecs, Frank Marshall. Cette partie est tirée de leur match de 1909, qui devait aider Marshall à se préparer pour son prochain combat de Championnat du Monde contre Emanuel Lasker - mais Capablanca s'est imposé de manière convaincante.
Après le coup 17... Dc7 de Capablanca, la position est équilibrée. Les deux camps sont solides, les blancs ayant une majorité de pions à l'aile roi et les noirs, à l'aile dame - ce déséquilibre singulier ne peut certainement pas être transformé en avantage gagnant, n'est-ce pas ?
Eh bien, cette partie ne serait pas célèbre si cette apparente égalité avait abouti à une nulle logique. Capablanca a commencé à mettre en place un plan simple et limpide à partir de la position ci-dessus - utiliser sa majorité de pions de l'aile dame pour créer des problèmes à Marshall. Après quelques échanges, il était clair qu'il était aux commandes - Capablanca était dans l'action tandis que Marshall ne faisait que réagir.
Après 26... Td1+, Capablanca a obtenu un avantage notable avec sa majorité de pions florissante et sa tour qui contrôlait la colonne d et la première rangée. Son objectif semblait désormais très difficile (voire impossible) à contrarier sans perdre de matériel.
Dans cette partie, Capablanca a fait preuve d'une précision clinique, donnant une impression de facilité déconcertante. En bref, il a exécuté son plan (pousser la majorité des pions de l'aile dame) alors que son adversaire manquait d'idées. Il a donc transformé une position égale contre un challenger au Championnat du Monde en un avantage gagnant, en exploitant un minuscule déséquilibre. On a l'impression qu'il a créé des chances à partir de rien, comme par magie.
Akiba Rubinstein
Akiba Rubinstein est considéré comme l'un des joueurs les plus forts à ne jamais avoir été coiffé de la couronne mondiale. Lasker avait accepté de l'affronter dans un match de Championnat du Monde, mais la Première Guerre mondiale s'est mise en travers de son chemin. Capablanca avait également proposé un tel duel à Rubinstein, mais les fonds n'avaient finalement pas pu être réunis.
Rubinstein est surtout connu pour sa série de victoires en 1912, au cours de laquelle il a remporté cinq grands tournois d'affilée. Il est également considéré comme l'un des plus grands joueurs de finales de tous les temps - l'une de ses spécialités étant les finales de tours et pions.
Dans cet exemple tiré du tournoi de Carlsbad de 1911, on voit Rubinstein torturer le futur champion du monde, Alexander Alekhine. La position suivante a été atteinte après le coup 36.f3 de Rubinstein :
La position ci-dessus est objectivement égale si les noirs trouvent 36...a5 : la tour blanche est plus active que leur homologue, les noirs ont trois îlots de pions contre deux pour les blancs, ces derniers ont doublé les pions f, mais le roi noir est plus proche de l'action sur l'aile dame. Les noirs doivent donc jouer 36... a5 ici, en profitant du fait que les blancs ne peuvent pas prendre a6 en passant à cause de le tour c6 attaquée par le roi adverse. Malheureusement pour Alekhine, il a raté cette idée et s'est fait étouffer à petit feu.
La patience de Rubinstein est remarquable dans cette partie où il joue à la perfection sur les deux ailes. Il nous démontre l'importante vérité selon laquelle une position égale n'est pas une position nulle - il recèle de la vie même dans les positions les plus ternes.
Ulf Andersson
Ulf Andersson est un Grand Maître suédois qui a atteint le quatrième rang mondial. Spécialiste des finales, il est réputé pour ses victoires dans des positions "impossibles à gagner". Son répertoire d'ouvertures comprend de nombreuses lignes où les dames sont échangées au plus tôt.
Pourquoi quelqu'un échangerait-il les dames si tôt ? Eh bien, en raison de ses incroyables capacités dans les situations simplifiées. Il aspirait à drainer le potentiel dynamique d'une position dès que possible afin de faire valoir ses talents de magiciens des finales, l'un des plus talentueux à avoir jamais gratifié les 64 cases.
Comme l'a dit un jour le FM Dennis Monokroussos : "Pour la plupart d'entre nous, si nous jouons contre un pair et que des échanges importants ont lieu, une nulle rapide est le résultat probable. Pour Andersson, les échanges ne sont souvent pas le prélude d'un match nul rapide, mais le signal qu'il est temps pour son adversaire de commencer à souffrir".
Dans la partie suivante, voyons comment Andersson a torturé avec les pièces blanches Peter Leko, challenger au Championnat du Monde. Les dames sont échangées dès le huitième coup et la position est égale au neuvième :
Je ne dirais certainement pas que cette position est impossible à gagner, il reste beaucoup d'éléments en jeu. Cependant, l'idée qu'un GM de classe mondiale perde l'un ou l'autre côté de cette position semble irréaliste. Cela dit, il s'agit du type de situation parfait pour qu'Ulf puisse faire entrer en lice sa magie.
Après que les deux camps ont fini de se développer et que d'autres échanges ont eu lieu, Ulf s'est retrouvé avec un minuscule avantage dans une finale à quatre tours. Leko a très bien défendu et finalement la position est devenue aussi égale que possible. Après 48.Re2, la position semble vraiment "impossible à gagner" :
Il n'est pas difficile de deviner le résultat de cette finale car il est écrit - mais voyons en œuvre la sorcellerie d'Ulf :
Il a fallu 91 coups à Andersson, mais il a gagné la partie (et beaucoup, beaucoup d'autres comme celle-ci). Peu de joueurs aiment avoir recours à une telle patience pour l'emporter en plus de 80 coups, mais Andersson et ses fidèles disciples en font partie. Si vous cherchez plus d'informations sur Ulf Andersson, je vous suggère le superbe livre du MI Cyrus Lakdawala intitulé How Ulf Beats Black.
Magnus Carlsen
Le champion du monde Magnus Carlsen n'a pas besoin d'être présenté. Il est déjà considéré comme l'un des plus grands joueurs de tous les temps, et il est bien connu qu'il excelle dans toutes les phases du jeu. Cependant, Sa malice en fin de partie a longtemps constitué sa marque de fabrique.
Voici un exemple parmi tant d'autres où Carlsen bat un super-GM dans une finale égale. Comment fait-il ? Eh bien, c'est un magicien, bien sûr ! Dans l'exemple ci-dessous, Carlsen avait les blancs contre Levon Aronian après 28.Txf3 :
Le seul léger déséquilibre dans la position est que les blancs ont deux îlots de pions alors que les noirs en ont trois, et que le pion arriéré en c7 peut potentiellement devenir une cible sur la colonne ouverte c. Après une poignée de coups et l'échange du pion c7 des noirs contre le pion d5 des blancs, une autre position égale est apparue à la suite de 35.Tbd4 :
Carlsen a pu punir une erreur presque imperceptible d'une manière quasi surhumaine - il a la capacité unique de maintenir la pression et des chances même dans les positions les plus simples.
Salomon Flohr
Salomon "Salo" Flohr est peut-être le nom le moins connu de cette liste, mais il était un joueur de classe mondiale et a fait partie des premiers à recevoir le titre de Grand Maître en 1950.
Il a remporté le championnat tchécoslovaque à deux reprises et a terminé à égalité avec Mikhail Botvinnik à la première place du tournoi international d'échecs de Moscou de 1935 (devant Capablanca et Lasker). Il existe même un jeu d'échecs célèbre et recherché qui porte son nom : le BFII (abréviation de Botvinnik-Flohr Two), qui a été utilisé lors du tournoi de Moscou de 1935.
Flohr était connu pour son style positionnel et (bien sûr) sa technique en finale. Dans la position suivante, Flohr a les blancs contre Botvinnik :
Flohr dispose de la paire de fous, mais la position est fermée (ce qui est souvent préférable pour les cavaliers). Les objectifs stratégiques des deux camps sont clairs : les blancs veulent ouvrir la position pour leur paire de fous, et les noirs veulent la garder fermée et/ou échanger un cavalier contre un fou.
La façon dont la position peut être ouverte n'est pas immédiatement évidente, mais Flohr nous donne un exemple classique de comment utiliser la paire de fous dans une finale. Les deux joueurs manœuvrent avec leurs pièces et centralisent leurs rois jusqu'à ce que Flohr commence à miner le centre fermé en jouant 41.f4 :
Flohr a fait preuve d'une technique mémorable et magique dans cette partie - sa patience et sa rigueur méthodique méritent d'être soulignées.
Vasily Smyslov
Vassili Smyslov a été le septième champion du monde et le détenteur du record du nombre de médailles olympiques avec le nombre impressionnant de 17 ! Smyslov a joué pendant plus de quatre décennies, il est connu pour son style positionnel et sa technique en finale proche de celle des machines.
Dans la position suivante, Smyslov avait les blancs contre Viktor Korchnoi. Comme nous l'avons déjà remarqué, il reste beaucoup de vie, même dans les positions les plus égales, et celle-ci ne fait pas exception :
Selon Stockfish, cette position est totalement égale (0,00). Si je devais choisir un camp, je pourrais même opter pour les noirs ! Cependant, il suffit de trois coups à Smyslov pour se créer des chances :
Le jeu de Smyslov dans cette finale mérite certainement d'être étudié plus en profondeur.
Une fois que la tour de Korchnoi était bloquée en h2, Smyslov a simplement activé ses propres pièces et a gagné le pion b. Il a ensuite utilisé son pion passé comme appât pour attirer le roi de Korchnoi du mauvais côté de l'échiquier avant de convertir une finale gagnante. Le jeu patient et précis de Smyslov laisse une forte impression.
Anatoly Karpov
L'inclusion d'Anatoly Karpov dans cette liste ne devrait pas surprendre les amateurs de finales. Karpov a été le 12e champion du monde et est largement reconnu comme l'un des plus grands joueurs de finales de tous les temps.
Ses capacités en finale s'expriment à travers différents exemples fantastiques de prophylaxie et de zugzwang. La position suivante est tirée de la neuvième partie du Championnat du Monde de 1984 contre Garry Kasparov. Karpov avait les blancs, et la finale suivante, égale, a été atteinte après 36.exd4 :
Cette position constitue une finale de pièces mineures très plate. Le seul déséquilibre est que tous les pions de Kasparov sont de la même couleur que son fou, alors que tous les pions de Karpov (sauf le pion en h3) sont sur des cases noires. Mais cela ne peut pas être suffisant pour la victoire - impossible, n'est-ce pas ? C'est ce qu'il semblait, et il a fallu un certain temps pour que quelque chose de réel bouscule un tant soit peu l'équilibre :
Karpov a créé des chances à partir de rien. Sa technique affichée après l'entrée dans la finale de cavalier contre fou est plus que mémorable. Karpov a tout simplement transformé le fou de Kasparov en une âme en peine errant sans cibles - ce qui est magique en soi.
C'est en remportant de telles victoires contre les meilleurs joueurs du monde que Karpov restera dans les mémoires comme l'un des plus grands joueurs de tous les temps, mais aussi comme un virtuose des finales.
Conclusion
J'espère que vous avez apprécié cette immersion dans l'esprit de ces merveilleux magiciens des finales. Quelques conseils à retenir de leurs parties : soyez patient, ne vous pressez pas, restez attentif, attendez le bon moment et souvenez-vous toujours qu'égalité ne signifie pas nulle ! Admirez-vous un spécialiste des finales qui ne figure pas dans cette liste ? Faites le nous savoir dans les commentaires ci-dessous !