Y a-t-il une justice aux échecs ?

On dit parfois qu'en amour comme en guerre, tous les coups sont permis.

Et qu'est-ce que notre jeu bien-aimé, si ce n'est une alliance de l'amour et de la guerre ?

Pour la guerre, vous comprendrez sans peine, mais qu'en est-il de l'amour ? Eh bien je vous propose de vous rendre sur Twitter pour rechercher le hashtag #WhyILoveChess, vous serez vite convaincu qu'il s'agit bien d'une histoire d'amour entre le jeu et ses joueurs ! 

Mais, si tout les coups sont permis aux échecs, pourquoi ais-je écrit ceci il y a une vingtaine d'années sur le profil que j'avais créé sur un célèbre serveur de jeu en ligne : 'Il existe une catégorie de joueurs d'échecs que je n'aime pas : ceux qui continuent à jouer une finale roi + tour contre roi + tour uniquement pour tenter de gagner au temps. C'est un manque de respect envers le jeu et leur adversaire." ?

C'est vrai, je déteste ce cas de figure. Voici une position issue d'une de mes parties officielles de l'époque :

J'ai tenté d'accrocher la victoire pendant de longues heures, essayant de convertir mon pion de plus, mais lorsque les dernières pièces mineures furent échangées, j'ai du me résigner, et j'ai propose la nulle. A ma grande surprise, mon adversaire rejeta mon offre ! En effet, nous étions proche de la fin du temps. Je n'avais que deux minutes à la pendule contre cinq à mon adversaire. Comme cette partie se jouait encore sur des anciennes pendules, il était impossible de jouer avec un incrément ou un délai.

Lorsque mon adversaire a refusé la nulle, j'ai d'abord cru avoir mal entendu. Il ne s'agissait pas d'un petit blitz en ligne, et l'idée de voir un GMI faire tomber le drapeau d'un autre dans une telle position me paraissait totalement absurde. Avant de demander à l'arbitre une pendule électronique avec un délai, j'ai voulu vérifier si j'avais bien entendu :

"Tu es en train de me dire que tu vas jouer cette position pour le gain ?" C'est alors que mon adversaire est soudain sorti de sa transe, m'a souri, et a répondu d'une voix douce "Oh, non, bien sûr que non, désolé." Nous n'avons pas eu à jouer (et heureusement !) cette embarassante finale.

"Embarrassante", parce que si mon adversaire avait effectivement rejeté la nulle, une fois équipé d'une pendule moderne, j'aurais essayé de jouer pour le gain, d'autant plus qu'ici les blancs n'ont aucune chance de perdre, même s'il perdent les deux pions. (A moins, bien entendu, qu'ils ne gaffent la tour...)

Si je vous ai raconté cette anecdote, c'est pour vous faire comprendre que j'ai longtemps considéré que le fait de continuer à jouer une position complètement nulle pour tenter de faire tomber son adversaire était très peu fair-play.

Il y a un argument qui m'a toujours fait sourire : "Si mon adversaire a joué moins vite que moi pour trouver de meilleurs coups, de mon côté, j'ai sacrifié la qualité de mes coups pour économiser du temps. Pourquoi alors ne pourrais-je pas utiliser mon avantage à la pendule à la fin de la partie ?" Pour moi, c'était totalement ridicule, mais avec l'âge, on apprend parfois que ses opinions ne sont pas les seules valables, et qu'on avait parfois même (gloups) tort ! J'ai donc récemment commencé à réfléchir plus sérieusement au problème.

En observant les tournois scolaires pendant de nombreuses années, j'ai vu de nombreuses parties atteindre une position similaire à celle-ci :

Les enfants continuent toujours à jouer, même sans pendule. Il ne s'agit donc pas de faire tomber l'adversaire. Ils jouent aux échecs, tout simplement ! Et je peux vous assurer que souvent, un des deux joueurs gagne, car les nulles sont très rares au niveau scolaire. Bien sûr, je parle de joueurs classés aux alentous des 1000 Elo.

Si un maître tentait de battre un autre maître dans une telle position, cela pourrait effectivement sembler assez peu fair-play. Mais la question qu'il faut se poser, c'est à partir de quel niveau il devient insultant de continuer à jouer cette position ?

Voyez par exemple cette partie que nous avons analysé récemment :

J'avais écrit : "N'accablez pas Nakamura pour avoir continuer à jouer dans une position nulle. C'est un guerrier-né, qui se bat jusqu'au bout pour la moindre chance pratique. Et cette stratégie lui a valu de nombreuses victoires."

Mais quelle est donc la fine barrière qui sépare un combattant opiniâtre qui exploite toutes ses chances pratiques et un joueur qui se contente de bouger les pièces dans tous les sens dans l'espoir de faire tomber son adversaire ?

Voici un autre exemple critique :

Un super-GMI devrait-il abandonner dans une telle position face à un autre super-GMI ? A l'époque, Karjakin avait été durement critiqué pour avoir joué jusqu'à la fin. Personnellement, j'aurais certainement eu honte de la jouer aussi longtemps, et aurait abandonné bien plus tôt. Pourtant, Karjakin trouve une nulle miraculeuse :

Il s'agissait d'ailleurs de la partie décisive de leur match, et grâce à cette nulle, Karjakin a remporté un prix immobilier qui en ferait baver plus d'un. Devrait-il être critiqué pour son comportement soi-disant anti-sportif, ou salué pour son courage et sa grinta dans une situation sans espoir ?

Il n'y a pas si longtemps, la réponse à cette question aurait été totalement évidente pour moi. Aujourd'hui, je n'en suis plus aussi sûr. Malheureusement, quand nous entendons une opinion contraire à la notre, notre premier réflexe est de l'ignorer. C'est l'un des plus grands problèmes du monde moderne. C'est ce qui divise nos gouvernements et nos communautés. On ne s'écoute pas assez !

J'aimerais bien avoir l'avis des lecteurs et résoudre ce problème une bonne fois pour toutes. Voilà les options que je vous propose :

1. Tout ce qui est légal est permis.
2. Il existe certaines règles tacites qu'il est de mauvais goût d'enfreindre (Quelles sont ces règles ? Sont-elles applicables à tous les niveaux, ou chaque niveau a-t-il ses règles propres ?)
3. Quelque chose d'autre (règles ou autres, qu'importe).

Qu'en pensez-vous ? Merci de me le faire savoir dans les commentaires !