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Ding craque le premier, Gukesh vire en tête !
Gukesh ne s'est pas fait prier pour punir la gaffe de son adversaire et prendre les commandes du match. Photo : Maria Emelianova.

Ding craque le premier, Gukesh vire en tête !

Colin_McGourty
| 0 | Couverture d’événements d’échecs

La onzième partie du match de Championnat du Monde FIDE 2024 nous a offert un thriller haletant à la fin brutale quand Ding Liren a succombé à une tactique élémentaire pour sceller sa défaite. Les 2 joueurs, réfléchissant à tour de rôle à n'en plus finir dans l'ouverture, se sont retrouvés sous une immense pression que Gukesh Dommaraju a finalement mieux géré, se jetant au moment critique sur le terrible cadeau du champion du monde. Le prodige indien prend donc la tête du match pour la première fois à trois parties classiques du terme.

Pas de répit pour nos deux gladiateurs qui se retrouvent dans l'Arène de Singapour dès ce lundi 9 décembre, à 10:00, heure de Paris avec une réaction attendue de Ding avec les pièces blanches.

Score du match

Nom Elo 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 Score
  Ding Liren 2728 1 ½ 0 ½ ½ ½ ½ ½ ½ ½ 0 . . . 5
  Gukesh Dommaraju 2783 0 ½ 1 ½ ½ ½ ½ ½ ½ ½ 1 . . . 6
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La retransmission avec Kévin Bordi et le GM Fabien Libiszewski.

Un pas important vers la couronne. Photo : Eng Chin An/FIDE.

L'analyse du GM Rafael Leitao

Le premier GM asiatique, Eugenio Torre et l'ex championne du monde Hou Yifan ont lancé la partie. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Ding "freeze" une heure après 5 coups

Le dicton "après le calme vient la tempête" annoncé en début de retransmission par Peter Leko n'aurait pas pu tomber plus juste. Anish Giri, son compère au micro, abondait, soulignant que si le clan Gukesh estimait qu'il fallait faire la décision en classique - Ding ayant davantage de références en rapide - c'était le moment ! Prendre tous les risques dans l'ultime partie avec les blancs reviendrait à jeter une pièce en l'air, il fallait donc saisir cette avant-dernière occasion de mettre la pression avec une petite marge de rattrapage derrière.

Gukesh a lancé les hostilités avec le souple 1.Cf3, et après 1...d5, il s'est immédiatement éloigné des sentiers trop battus avec 2.c4!?.

Ding aurait pu réagir avec le tranquille 2...e6 mais a préféré relever le défi en poussant son pion en d4 - un choix qu'il a certainement regretté peu après comme l'a malicieusement expliqué Giri :

Si vous dites à Ding qu'en échange d'une amende de 10 000 $, il peut reprendre son deuxième coup et jouer à la place 2...e6, il paiera les 10 000 $. Je pense qu'il pourrait aller jusqu'à 80 000 $, voire plus de 100 000 $, car cette partie pourrait décider du sort du match de Championnat du Monde !

Ding Liren, des soucis plein la tête dès les tous premiers coups. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Le champion du monde a déclaré plus tard qu'il se croyait prêt pour ce qui s'est passé dans la partie, mais après 2...d4 3.b4 c5 4.b4, le Gambit Blumenfeld inversé, il a sombré dans une réflexion de 38 minutes. Ding savait qu'il avait précédemment joué 4...Cf6 contre le GM indien Adhiban Baskaran dans une partie rapide en ligne, mais a confessé : "J'ai oublié ce qu'il fallait faire sur les autres coups".

Gukesh connaissait évidemment aussi cette partie et ce n'est qu'au coup suivant qu'il a dévoilé ses cartes avec la quasi-nouveauté 5.a3

Ding a immédiatement compris qu'il venait de gaspiller près de 40 minutes : "Il a joué a3, ce qui m'a également surpris, et j'ai donc dû réfléchir une fois de plus, de sorte que ces 40 minutes n'ont servi à rien, à part calculer des variantes absurdes".

Ces 40 minutes n'ont servi à rien, à part calculer des variantes absurdes.

— Ding Liren

Gukesh avait été informé de cette idée la nuit précédant la partie par son équipe à qui il a rendu un nouvel hommage :  

C'est évidemment à double tranchant, mais nous pensions que nous avions de bonnes chances de le prendre par surprise. Mon équipe a fait un travail remarquable sur cette ligne que j'ai regardée et que j'ai trouvée très intéressante. Le rapport risque-récompense était pas mal du tout car j'étais sûr de le surprendre. 

Le rapport risque-récompense était pas mal du tout car j'étais sûr de le surprendre. 

— Gukesh Dommaraju

Forcé de réfléchir à nouveau, Ding dépensa 20 minutes de plus, tombant sous la barre symbolique de l'heure avant le cinquième coup, provoquant la stupéfaction de ses collègues du top niveau et la détresse de ses fans. 

Il se décida enfin pour 5...Fg4!?, qui n'était pas le meilleur coup et la réplique instantanée de Gukesh semblait presque le condamner puisqu'il allait devoir jouer une position extrêmement complexe avec un retard considérable à la pendule. 

Une lueur d'espoir persistait toutefois puisque comme l'a fait remarquer Giri, aucun coup de Ding n'était susceptible d'être vraiment mauvais dans une position où les blancs avaient violé certains principes positionnels d'ouverture. La moindre imprécision pouvait même très vite renverser la vapeur !

Rien ne pouvait cependant nous préparer au coup de théâtre qui allait suivre.

Gukesh s'emmêle les pinceaux et rattrape Ding au temps

Une gestion du temps plutôt calamiteuse des deux joueurs dans cette partie. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Si l'issue avait été différente, Gukesh aurait pu nourrir de sérieux remords sur sa décision précipitée de pousser son pion en d3 plutôt que de prendre le contrôle des opérations avec 9.c5.

Il s'agissait du seul coup blanc pour s'assurer un avantage afin de libérer le fou de cases blanches et empêcher les noirs d'asseoir une structure de pions favorable à l'aile dame. Pensant avoir eu cette exacte position sur son échiquier d'entrainement le matin même, Gukesh a joué 9.d3? après seulement cinq minutes malgré son heure d'avance à la pendule. Il s'est en réalité mélangé avec une position où les noirs avaient joué 8...Cc6 plutôt que ...8.Dc7 avec des conséquences désastreuses sur le plan positionnel.

Ding a sorti les griffes en poussant 9...a5, et après 10.b5!? Cbd7!, Gukesh a réalisé avec amertume l'arrivée aussi inévitable que désagréable d'un cavalier noir sur la magnifique case c5. Décontenancé, le prodige indien s'enfonça dans une réflexion extraordinairement longue qui allait finalement être chronométrée à une heure et 17 secondes. La situation sur l'échiquier et à la pendule venait de s'inverser ! 

Leko a profité de cette longue "pause" pour dresser un tableau aussi orangé que riche en flèches dont l'enjeu était finalement l'unique case c5.

Gukesh a décrit ce qui s'est passé comme "tout simplement horrible" et a fini par dire qu'il avait élaboré "un plan stupide", certain de ne pas s'être trompé et donc  "toujours persuadé d'avoir quelque chose à trouver" dans la position. Une ligne favorisant les blancs n'était que chimère et le challenger vit donc son heure s'égrainer, incapable d'armer son arc de la moindre corde.

Gukesh a traversé un moment très difficile dans la partie avant de se ressaisir avec caractère. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Giri a expliqué qu'un adversaire se muant en tortue pouvait être aussi difficile à appréhender que d'affronter le Lucky Luke des échecs. Il a donné l'exemple d'une partie où il avait perdu tout sens du danger lorsque le roi du zeitnot Alexander Grischuk s'était "endormi" contre lui :  "Jouer vite est très déstabilisant, tout le monde le sait, mais jouer lentement peut être déstabilisant, c'est quelque chose que j'ai appris contre Grischuk, et c'est quelque chose que Gukesh est en train d'apprendre aujourd'hui !".

jouer lentement peut être déstabilisant... c'est quelque chose que Gukesh est en train d'apprendre aujourd'hui !

— Anish Giri

Nous n'étions cependant qu'aux prémices du scénario hitchcockien qui se profilait.

Ding encore trop pessimiste

Gukesh est parvenu à se reprendre juste à temps. Photo : Eng Chin An/FIDE.

Comme souvent depuis le début du match, l'appréciation de la position - ici très complexe - allait se révéler un facteur décisif. Ding a en effet qualifié la décision 11.g3 de Gukesh de "mauvais coup, lui permettant de prendre le pion d3" alors qu'il s'agissait du meilleur coup dans une situation difficile. Le "plan stupide" de Gukesh, avec sa dame étrangement placée en f4, s'avérait également le plus précis en dépit de son jugement en conférence de presse : "C'était une position tellement normale et soudain ma dame s'est retrouvée bloquée en f4 et je ne savais pas quoi faire, alors à ce moment-là je m'en voulais beaucoup !".

La partie allait de nouveau basculer après 15.Td1?!, premier moment où la machine clamait un bel avantage pour les noirs.

Le très naturel 15...e6!, préparant ...Fd6 et potentiellement le petit roque, était très fort, mais Ding a envisagé une conception plus ambitieuse avec 15...g6?! et l'idée diabolique d'enfermer la dame blanche après ...h5 avec ...Fh6.

Le GM chinois a toutefois manqué la riposte de son rival et considéré avoir perdu la partie à ce moment précis : "J'ai joué un coup horrible, 15...g6. J'ai raté 16.a4. J'aurais dû jouer e6 et la position n'était peut-être pas si mauvaise. Après g6, mon fou est clairement hors jeu et je ne pense pas avoir la moindre chance après cela".

je ne pense pas avoir la moindre chance après cela.

— Ding Liren après son coup 15...g6

L'évaluation de l'ordinateur était nettement moins sévère, indiquant une habituelle égalité parfaite avec 0.00 mais validant qu'après 15...e6, les noirs auraient bénéficié d'une gros avantage. Gukesh s'est montré très surpris par le défaitisme de son adversaire, se croyant lui-même en grand danger jusque là même si les deux joueurs ont convenu que 16.a4! avait changé la donne.

Gukesh a livré ses impressions sur ce moment critique : "J'essayais juste de jouer un coup à la fois et de ne pas perdre sur le champ, et je pense que a4 s'est révélé une ressource très, très importante, parce qu'au début je n'avais aucune idée de ce qu'il fallait faire dans cette position !".

Le public indien a saisi l'importance de l'instant, s'enflammant pour son chouchou, de nouveau sur la bonne voie.

Les deux joueurs se retrouvaient désormais à devoir naviguer dans une position à double tranchant tout en subissant l'énorme pression de la pendule.

Gukesh prend l'initiative en zeitnot

Ding Liren a brutalement basculé en mode "survie". Photo : Eng Chin An/FIDE.

C'est alors que la force mentale de Gukesh a fait la différence. Malgré son jeune âge, le prodige indien a fait preuve d'une grande maturité en s'éloignant 5 minutes de l'échiquier pour se recentrer et évacuer la frustration accumulée :

Lorsque j'étais à la dérive avec toutes ces longues réflexions, je me suis mis en colère contre moi-même. Je commençais également à perdre du terrain par rapport à lui, mais je me suis dit que je devais faire une pause et me rafraîchir, parce que je n'avais pas les idées claires à ce moment-là. Je suis allé dans mon salon, j'ai passé quelques minutes à me calmer et je me suis dit que j'avais déjà gâché mon avantage, qu'il fallait que je joue un coup à la fois et que je ne fasse plus d'erreurs. D'une certaine façon, tout s'est ensuite très bien passé !".

J'ai passé quelques minutes à me calmer et je me suis dit que j'avais déjà gâché mon avantage, qu'il fallait que je joue un coup à la fois et que je ne fasse plus d'erreurs.

— Gukesh Dommaraju

Gukesh a de nouveau montré sa détermination à toute épreuve. Photo : Eng China An/FIDE.

Sonné, Ding a peiné à garder sa consistance avec plusieurs signes de tête négatifs face à ce coup de boutoir 16.a4! qui bouleversait ses plans. S'il a cru plus tard avoir trouvé comment résoudre ses problèmes grâce à 20...Cc6! (ce qui était objectivement le cas), il a encaissé un nouvel uppercut avec 21.Ca3! : "Je pensais que j'étais bien après Cc6, mais j'ai raté Ca3, une idée très forte pour sacrifier le pion b6, doubler sur la colonne b et jouer sur les cases noires". 

Si Gukesh n'a pas joué à la perfection dans la séquence qui a suivi, il a enchainé les coups logiques pour maintenir la pression et sa manœuvre originale de cavalier initiée par 25.Ca1!? a de nouveau mis Ding sur le reculoir.

Dos au mur, Ding a vu l'option 25...Cb4!?, offrant une transposition vers une finale légèrement inférieure mais l'a rejetée à cause de 26.Cb3 b6 27.c5, une ligne où les noirs s'en sortent pourtant correctement.

Finalement, ce n'est qu'après 25...Tb8 26.Cb3 que la première erreur sérieuse du tenant du titre est intervenue avec 26...e6?. Ce moment de flottement allait malheureusement se prolonger pour Ding, crucifié dans la foulée.

Ding implose

Doubler les tours avec 28.Tdb1?! n'était objectivement pas le meilleur coup - la tactique 28.Cxb7! était possible - mais cette décision avait le mérite de ne pas forcer le jeu, laissant aux noirs la possibilité de se tromper.

Si Ding avait trouvé 28...Cb4!, il aurait pu espérer survivre mais après seulement 27 coups, il a scellé son funeste destin dans cette partie avec le terrible 28...Dc8??. Gukesh a aussitôt fait les gros yeux et après une vérification éclair, a délivré le coup de grâce avec 29.Dxc6!, exploitant l'alignement fatal dans la colonne b pour gagner une pièce nette.

Le challenger a donc pris les commandes pour la première fois du match à trois rondes du verdict, devenant au passage grand favori pour s'emparer du trône à la plus grande joie des supporters indiens.

Gukesh était bien sûr heureux de la tournure des événements, mais a admis qu'il ressentait surtout un grand soulagement :

Je pense que cette partie a donné lieu à de véritables montagnes russes ! Elle aurait pu facilement basculer dans l'autre sens. Je crois donc que la clé de cette partie a peut-être été d'accepter que j'avais "merdé" après l'ouverture et de me reconcentrer. J'en suis très content ! 

Je pense que cette partie a donné lieu à de véritables montagnes russes !

— Gukesh Dommaraju

Gukesh a pu faire plaisir à ses fans avec quelques selfies après sa victoire. Photo : Eng China An/FIDE.

Cependant, pas le temps de souffler puisque nos deux gladiateurs remettent le couvert dès demain ! Ding a déjà prouvé contre Nepo son immense force de caractère et tentera donc de profiter des blancs pour revenir à hauteur.

Le spectacle s'annonce donc des plus excitants et nous vous attendons nombreux pour vivre en direct un grand moment d'échecs lors de cette douzième partie !    


L'analyse vidéo de Kév et Fab 


Le Championnat du Monde FIDE 2024 se déroule à Singapour et déterminera le prochain champion du monde. Le challenger indien Gukesh Dommaraju, 18 ans, affronte le tenant du titre chinois Ding Liren dans un match en 14 parties classiques, le premier à atteindre 7,5 points étant déclaré vainqueur. La cadence est de 120 minutes pour les 40 premiers coups, suivies d'un ajout de 30 minutes avec un incrément de 30 secondes par coup à partir du 41ème coup. La dotation s'élève à 2 500 000 dollars, dont 200 000 dollars pour le vainqueur et le reste distribué en parts égales. En cas d'égalité 7-7, des départages auront lieu, commençant par un mini-match de quatre parties rapides en 15+10.


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    Colin_McGourty
    Colin McGourty

    Colin McGourty led news at Chess24 from its launch until it merged with Chess.com a decade later. An amateur player, he got into chess writing when he set up the website Chess in Translation after previously studying Slavic languages and literature in St. Andrews, Odesa, Oxford, and Krakow.

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