Ding sonne la révolte contre un Caruana surpréparé !
Cette ronde 3 a été marquée par la résurrection spectaculaire de Ding Liren, héroïque face à la préparation abyssale de Fabiano Caruana, il redistribue ainsi d'ores et déjà les cartes de ce Tournoi des Candidats. Ian Nepomniachtchi, Maxime Vachier-Lagrave et Wang Hao se partagent la tête avec le score de +1 avant le premier jour de repos.
Vous pouvez suivre chaque ronde du Tournoi des Candidats en direct sur Chesscomfr. La ronde 4 débutera samedi 21 mars à 12h heure française. Vous pouvez également consulter les parties sur notre page dédiée aux retransmissions dans Chess.com/events. Trouvez toutes les informations sur l'événement dans notre rubrique chess.com/news.
La retransmission en direct avec MVL aux côtés des commentateurs à partir de 3:34:34 !
Ding jouait aujourd'hui très gros, au delà du plan comptable, une autre défaite aurait été synonyme d'un long calvaire jusqu'à la fin de la compétition. Si avec son zéro pointé après seulement deux rondes, il était déjà hors course pour la victoire finale dans l'esprit de la plupart des observateurs, il a posé les bases d'un improbable happy end dans l'adversité la plus totale. Caruana, impressionnant vainqueur du tournoi de Tata Steel en janvier, était invaincu depuis 28 parties classiques, sa dernière défaite remontait au 26 août 2019 contre un certain... Ding.
La bataille s'engagea pourtant sous les augures les plus funestes pour le numéro 3 mondial, surpris dans l'ouverture par le challenger sortant qui n'avait pas joué le Slave depuis Gibraltar 2017. Les choses allèrent rapidement de mal en pis pour le gladiateur chinois, interdit devant l'inquiétante nouveauté théorique de son rival au 9ème coup. Ding s'arma alors de courage et de patience, prenant le temps d'enchaîner les décisions précises pour survivre à la pluie de coups blitzés par Caruana.
La nouvelle idée de l'américain n'était pas sans risque puisqu'elle impliquait un double sacrifice de pions, pour lequel il obtint un jeu de pièces des plus actifs, un roi adverse dans les courants d'air et une certaine avance de développement.
La position après 16...Cf8.
Alors que de telles sacrifices impliquent souvent une suite spectaculaire, Caruana enchaînait les coups "tranquilles" de développement et commençait à créer des menaces d'encerclement de la dame blanche. Était-ce suffisant ? Notre commentateur vedette et ancien champion du monde, Vishy Anand, estimait qu'à ce stade : "Les blancs doivent être OK, mais le plus difficile est de jouer contre un adversaire aussi bien préparé dans une telle position".
Ding se battait non seulement contre le numéro 2 mondial, son travail fait à la maison par ses secondants et l'ordinateur mais aussi contre le temps ! Au 14ème coup, il accusait déjà une heure de retard à la pendule, deux décisions plus tard, il ne lui restait plus que 16 minutes pour atteindre le salvateur rajout de temps.
Le GMI Robert Hess compatissait à cette situation délicate : "Ce n'est pas amusant à jouer pour Ding."
Et Anand réagissait : "Oh, je pense que ce train là a quitté la gare il y a longtemps. Ici, vous essayez de survivre. Pour vous amuser, vous pouvez toujours aller dans un parc d'attractions."
Au fil des coups cependant, Ding semblait consolider sa position et il devint de plus en plus évident que les noirs étaient en train d'échouer à proposer quelque chose de concret. Comme l'a suggéré le GM Dejan Bojkov dans ses analyses, Caruana a peut-être mélangé plusieurs ordres de coups, permettant à Ding de souffler.
"Il a joué si vite. J'avais plus d'une heure de retard après l'ouverture. Je ne sais pas où il s'est trompé car ses compensations paraissaient très importantes", a déclaré Ding à propos de la phase d'ouverture.
"J'étais inquiet pour ma position, même si je ne voyais pas clairement comment jouer pour lui, mais comme il était encore dans sa préparation, je pensais que quelque chose pouvait clocher dans ma position", a reconnu Ding. "Peut-être qu'il a trop pris son temps (au sens figuré). Il a joué de nombreux coups de pions et m'a permis de replacer ma dame sur une meilleure case".
Ce n'est que lorsqu'il a pu rapatrier sa pièce maîtresse en g3 que Ding a eu l'assurance qu'il était aux commandes. Il a ainsi pu accélérer la cadence tout en gardant suffisamment de contrôle pour atteindre confortablement le coup 40.
Bien que Caruana ait prolongé jusqu'au bout du bout - et même au-delà - la partie, essayant de trouver d'ultimes ressources, sa défaite était devenue inéluctable et sa belle préparation un échec douloureux.
Le GMI Daniel Naroditsky s'est montré admiratif de la gestion des événements de Ding : "Il a fait preuve d'une force mentale et d'une résilience exceptionnelle."
A la question de savoir comment il avait géré son entrée en matière catastrophique, Ding a répondu : "Hier, je me suis préparé durement mais pas pour cette partie en particulier, plutôt pour quelques idées générales. Je voulais retrouver comment j'ai joué dans le passé, dans ma meilleure forme. Je voulais récupérer".
Il a mentionné qu'il recevait beaucoup de soutien de ses amis et de sa famille en ligne, et que cela l'avait peut-être aidé à se mettre d'humeur au combat : "Aujourd'hui, puisqu'il a joué la Slave, à un moment donné, j'ai considéré jouer 3.cxd5 et faire une nulle rapide, mais ensuite j'ai pensé que ce n'était pas mon style et que je devais jouer pour la ligne la plus critique."
Le GMI Matthieu Cornette vous délivre un véritable cours particulier sur la partie du jour !
La partie entre Kirill Alekseenko et Nepomniachtchi s'est déroulée sur un terrain rare au plus haut niveau mais bienvenu : la variante Winawer de la Française. Surprendre son rival est une tactique clé pour beaucoup de joueurs en ce début de tournoi et Nepomniachtchi n'a pas dérogé à cette règle puisqu'il n'avait opté pour cette ouverture qu'une fois depuis 2017, l'an passé durant le Championnat du Monde de rapide.
C'est la raison pour laquelle Alekseenko a pris trois minutes et demie pour répondre par le principal 2.d4, et peut-être aussi pourquoi il a adopté un style hybride un peu étrange entre le système h2-h4 (à la Garry Kasparov) et l'ancien Cg1-f3 (à la Bobby Fischer).
Par la suite, Alekseenko a admis lui-même qu'il n'aimait pas sa position, mais s'est senti plus optimiste quand son adversaire lui a offert la case d4 en jouant 16...Dxc5. Pour la troisième journée consécutive, le joueur wild card s'est osé à sacrifier du matériel et cette fois-ci son don de qualité était applaudi par Anand lui-même.
Nepomniachtchi a ensuite joué un coup douteux, incitant son rival à sacrifier un fou. Avec seulement 3 minutes pour tout calculer, ce dernier a renié son intuition - à tort - pour choisir une option moins engageante. Avec son 3ème gros zeitnot en autant de partie, on peut légitimement se demander si Alekseenko n'est pas le nouveau Grischuk ?
"J'ai décidé de bluffer un peu", a avoué Nepo. "Si 25...g6 reste impuni, je peux espérer me battre pour avoir l'avantage."
Finalement, la partie s'est conclue par un échec perpétuel avant le rajout de temps.
Alexander Grischuk pourra ressasser quelques regrets durant sa première journée de repos, puisque - jamais 2 sans 3 - il a encore laissé filer une position prometteuse.
Alors qu'il sentait la victoire se dessinait, il a oublié une tactique assez basique permettant à Wang Hao de transformer une longue séance de torture en une finale égale.
"J'ai pourtant vu ce Ce4+ bien avant", a expliqué Grischuk. "Ça ne marchait pas à ce moment là et je l'ai ensuite complètement oublié. À part le fait que c'était une énorme gaffe, le pire est que je savais que ce thème existait."
Wang Hao : "Il était clair que la position blanche était nettement supérieure. J'ai eu beaucoup de chance de chance de m'en sortir, c'était un peu le scénario inverse de ma partie d'hier."
Anish Giri avait également une surprise en réserve contre Vachier-Lagrave, à savoir la ligne 5.Fd2 dans le Grunfeld. Le Néerlandais avait joué ce coup - un système assez respectable qui a par exemple été utilisé lors du Championnat du Monde de 2014 - une seule fois auparavant, en 2009.
MVL a passé cinq minutes à fouiller sa mémoire avant d'asséner sa réponse, mais a réussi à rester dans les clous assez longtemps.
"Je devais encore résoudre des choses sur l'échiquier et je sentais que la position pouvait s'avérer assez dangereuse pour moi", a déclaré MVL, avant d'ajouter : "Le fait est que j'ai réussi à transposer dans une finale légèrement inférieure mais tenable".
"Il y a dix façons d'égaliser dans cette ligne et je les connais toutes, ce qu'il a joué n'était pas une de ces dix façons", a expliqué Giri après coup, intrigué par le fait qu'il n'ait dès lors pas obtenu un plus grand avantage dans l'ouverture.
Découvrez l'analyse en vidéo de la partie de Maxime par le GMI Fabien Libiszewski et Kevin Bordi :
Interrogés sur leurs projets durant le premier jour de repos de la compétition, Vachier-Lagrave et Grischuk ont tous deux souligné qu'ils l'appréhenderont différemment de la normale.
MVL doit rattraper son retard de préparation : "Vu qu'il me reste encore beaucoup de choses à me rappeler, je pense savoir comment passer cette journée de liberté. Curieusement, il s'agira d'échecs. Cela ne me ressemble pas mais c'est un tout nouveau moi !"
Grischuk a déploré que ses occupations habituelles et très culturelles (vraiment ? 😀) n'étaient pas une option : "D'habitude, le matin, je vais au musée et le soir au théâtre, mais maintenant tout est fermé. C'est très regrettable".
Classement après la ronde 3
# | Fed | Nom | Élo | Perf | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | Pts | SB |
1-3 | Ian Nepomniachtchi | 2774 | 2866 | ½ | 1 | ½ | 2.0/3 | 2.25 | ||||||
1-3 | Maxime Vachier-Lagrave | 2767 | 2923 | ½ | 1 | ½ | 2.0/3 | 2.25 | ||||||
1-3 | Wang Hao | 2762 | 2902 | ½ | 1 | ½ | 2.0/3 | 2.25 | ||||||
4 | Fabiano Caruana | 2842 | 2757 | ½ | 0 | 1 | 1.5/3 | 2 | ||||||
5 | Alexander Grischuk | 2777 | 2745 | ½ | ½ | ½ | 1.5/3 | 2.5 | ||||||
6 | Ding Liren | 2805 | 2670 | 0 | 0 | 1 | 1.0/3 | 1.5 | ||||||
7-8 | Anish Giri | 2763 | 2648 | 0 | ½ | ½ | 1.0/3 | 2 | ||||||
7-8 | Kirill Alekseenko | 2698 | 2678 | ½ | 0 | ½ | 1.0/3 | 1.75 |
La ronde 4 proposera les affrontements suivants (samedi) : Caruana-Nepomniachtchi, Wang-Alekseenko, MVL-Grischuk, Ding-Giri.
Par ailleurs, la FIDE a dû prendre des mesures encore plus strictes en matière de santé et de sécurité en raison d'un nouveau décret du gouverneur de la région de Sverdlovsk. Avec maintenant six cas de coronavirus signalés à Ekaterinbourg, tous les événements publics en salle ont été limités à 50 personnes maximum jusqu'au 10 avril.
Dans ce contexte, la Fédération Internationale des Échecs a décidé de restreindre encore davantage l'accès aux lieux de jeu. Les spectateurs n'étaient déjà pas les bienvenus mais maintenant la salle est strictement réservée aux joueurs, aux arbitres, au comité d'organisation et au personnel technique indispensable.
Entre-temps, certains joueurs se serrent encore la main tandis que d'autres l'évitent. Giri a suggéré que les joueurs imitent la pratique de salut utilisée au Shogi. Il n'est pas fan du "coude à coude", qui, selon lui, est : "de toutes les façons possibles de se respecter, la plus effrayante !"
Le néerlandais a également fait remarquer que : "Le problème est que tu te fais examiner par un médecin deux fois par jour et qu'il te dit simplement que tu n'as pas de fièvre et que ta gorge va bien, mais le médecin ne te dit pas que tu joues comme un idiot et que quelque chose ne va vraiment pas dans ton cerveau, et non dans ta gorge ou une quelconque fièvre !"
Les meilleurs moments des Candidats 2020 Le Maître National Jeremy Kane a créé des leçons directement à partir de ce Tournoi. Jetez-y un œil ! |
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