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Interview avec Ivan Sokolov, coach de l'équipe ouzbèke médaillée d'or aux Olympiades
Ivan Sokolov devant la partie cruciale entre Gukesh et Abdusattorov. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Interview avec Ivan Sokolov, coach de l'équipe ouzbèke médaillée d'or aux Olympiades

PeterDoggers
| 1 | Joueurs d’échecs

Ivan Sokolovancien joueur du top niveau, coache désormais l'équipe d'Ouzbékistan, brillante médaillée d'or aux Olympiades de Chennai. Dans une interview accordée à Chess.com, le Grand Maître néerlando-bosniaque raconte ses rapports et son travail au quotidien avec ses jeunes prodiges.

Sokolov, 54 ans, n'a pas besoin d'être présenté à nos lecteurs plus âgés qui l'ont vu sur le devant de la scène dans les années 1990 et au début des années 2000. Il a constamment figuré dans le top 30 au cours de ces deux décennies et a occupé la 12ème place du classement mondial à trois reprises. De tous les forts Grands Maîtres jamais entrés dans le top 10, il est l'un de ceux ayant le plus beau palmarès. En plus de nombreux succès dans des tournois importants (par exemple, Hoogeveen, Selfoss, Sarajevo), il a battu cinq champions du monde en classique : Garry Kasparov, Vladimir Kramnik, Viswanathan Anand, Veselin Topalov et Magnus Carlsen dans sa jeunesse.

Né et élevé en Bosnie (alors Yougoslavie, aujourd'hui Bosnie-Herzégovine), il fait partie des millions de personnes qui ont quitté ou fui le pays pendant les guerres yougoslaves des années 1990. Il s'est installé aux Pays-Bas en 1992, à l'époque véritable eldorado des amateurs d'échecs avec cinq ou six tournois annuels de Grands Maîtres. Son nouveau lieu de résidence permit également à Sokolov de se rendre plus facilement à des tournois à l'étranger.

Aujourd'hui divorcé et père de deux enfants d'une vingtaine d'années, Sokolov vit à Amsterdam. Il gagne sa vie en tant qu'entraîneur d'échecs depuis 2008. Il a d'abord travaillé avec les meilleurs talents de l'ex-Yougoslavie. (les GMs croates Ivan Saric et Marin Bosiocic ainsi que le GM bosnien Borki Predojevic), puis avec le GM indien Baskaran Adhiban et enfin le GM Salem Saleh des Émirats arabes unis.

Ivan Sokolov playing
Ivan Sokolov durant le Championnat d'Europe 2017. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

La décision de mettre de côté sa propre carrière échiquéenne pour commencer à travailler à plein temps en tant qu'entraineur aux EAU est née d'une belle anecdote en 2013.

" Au début de l'année 2013, j'avais encore un bon classement [2663] et j'ai disputé le Tata Steel, où mon résultat n'a pas été à la hauteur des positions que j'obtenais. Ma préparation était très bonne ; quelques mois plus tard, j'ai gagné plusieurs parties lors du Championnat de France par équipes sur la base de ma préparation effectuée pour Wijk aan Zee. C'était une année de hauts et de bas, et en juin, j'ai reçu une offre de la Fédération des échecs des Émirats arabes unis pour travailler avec eux : ils cherchaient quelqu'un pour faire de Salem un meilleur joueur. À cette époque, il était un jeune Grand Maître talentueux classé environ 2550-2560, mais ils voulaient quelqu'un pour l'aider à atteindre le niveau supérieur. Je n'étais pas sûr de vouloir déménager à Dubaï pour un emploi à plein temps avec, évidemment, un salaire fixe, mais sans être maître de mon temps, ce qui, à mon avis, est le plus gros avantage des joueurs d'échecs.

"Puis, à la fin du mois d'août, j'ai participé à l'Open de Vienne, un énorme tournoi avec 600 joueurs. J'ai donné une simultanée en tant qu'invité vedette de l'événement, mais à mi-tournoi, j'ai perdu une partie contre un jeune joueur turque talentueux classé 2400 [Batuhan Dastan, maintenant GM]. J'ai terminé le tournoi avec 6,5/9, ce qui était suffisant pour finir 16ème-30ème, synonyme d'un prix d'environ cent euros.

J'avais ensuite un vol pour Amsterdam, je suis donc allé à l'aéroport où on m'a dit : "Le vol est surbooké. Voulez-vous attendre deux heures de plus le prochain ? Nous vous dédommagerons à hauteur de 250 euros". J'ai dit oui, mais ensuite j'ai pensé : "Attendez une minute. Il y a quelque chose qui cloche. J'ai disputé un Open pendant 10 jours pour gagner 100 euros, je dois attendre deux heures pour un nouveau vol, et ils vont me payer 250. Il y a quelque chose qui ne va pas ici. J'ai donc pris cet argent, commandé une bouteille de vin et analysé la situation. Et après l'avoir analysée, j'ai décroché le téléphone, appelé Dubaï et demandé si leur offre était toujours valable."

J'ai donc pris cet argent, commandé une bouteille de vin et analysé la situation.

Ivan Sokolov coach Uzbekistan
Sokolov à Chennai. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

À ce jour, Sokolov ne regrette pas sa décision. Les choses se sont bien passées, et ses résultats en tant qu'entraîneur parlent d'eux-mêmes, avec en point d'orgue l'or olympique à Chennai.

Il a travaillé aux Émirats arabes unis jusqu'à l'été 2016, principalement avec Salem, qui est rapidement devenu champion d'Asie. Il a également entraîné l'équipe des Émirats arabes unis lors des Olympiades de Tromso en 2014, une première pour lui en tant qu'entraîneur. Avant cela, il avait participé à toutes les Olympiades entre 1988 et 2012 en tant que joueur (représentant la Yougoslavie, la Bosnie-Herzégovine et les Pays-Bas), à l'exception de Dresde en 2008.

Son travail avec Firouzja

Environ un mois et demi avant les Olympiades 2016 à Bakou, Sokolov a quitté son emploi à Dubaï et a commencé à entraîner l'équipe iranienne - un poste qu'il a occupé jusqu'au Championnat du Monde par équipes 2019 inclus. A contrario de son expérience aux Émirats arabes unis, il n'a pas déménagé en Iran, mais s'y est rendu en avion plusieurs fois par an pour des séances d'entraînement qui duraient quelques semaines.

Avant de réaliser une bonne performance lors des Olympiades 2016, l'Iran a remporté le championnat d'Asie par équipes devant l'Inde et la Chine. L'Iran a ensuite terminé à une magnifique 11ème place ex aequo à Bakou, aux côtés de puissances échiquéennes comme l'Azerbaïdjan et la Chine. Deux ans plus tard, la jeune équipe a a partagé la quinzième place, un résultat très honorable. Parmi les membres de l'équipe figurait alors Alireza Firouzja, qui allait plus tard s'installer en France et devenir le plus jeune joueur de l'Histoire à franchir la barre des 2800 Elo.

Sokolov : "Lorsque je suis arrivé en Iran en 2016, un mois avant les Olympiades, le pays comptait un seul Grand Maître établi : Ehsan Ghaem Maghami. J'avais aussi à disposition Parham Maghsoodloo, Amin Tabatabaei et Firouzja, tous très jeunes, avec un classement d'environ 2400 à l'époque. J'ai compris qu'ils jouissaient d'un gros potentiel mais c'est toujours difficile de savoir à quel point.

"Ce que j'ai remarqué avec Alireza dès le début, et qui le rendait déjà un peu spécial, c'est qu'il était extrêmement investi.

Alireza Firouzja Iran chess
Alireza Firouzja à Rga en 2021. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Ce que j'ai remarqué avec Alireza dès le début, et qui le rendait déjà un peu spécial, c'est qu'il était extrêmement investi.

"Notre journée de travail démarrait de 10 heures à 13 heures, puis après une pause de 2h30, reprenait, de 15h30 à 18h30. Nous étions tous logés dans un hôtel très proche du bâtiment de la fédération d'échecs.

"Ma journée type était articulée de sorte que travaillais, je faisais une pause, j'allais faire une longue promenade dans un parc, je déjeunais, je répondais à mes e-mails privés et je reprenais le travail. En général, quand je revenais pour la deuxième session, Alireza avait déjà des nouveautés et des idées basées sur ce que nous avions regardé le matin. C'était pareil le soir, certains gars commencent à discuter ou à jouer aux jeux vidéo, alors que le matin qui suivait, Alireza arrivait avec de nouvelles idées et quelque chose à me dire ce que nous avions regardé l'après-midi de la veille. Il travaillait donc peut-être 10 heures par jour".

Travailler avec les ordinateurs

Pour un Grand Maître de formation classique comme Sokolov, dont le livre Winning Chess Middlegames publié en 2008 s'inscrit dans cette même tradition, travailler avec la nouvelle génération de joueurs qui ont tendance à utiliser l'ordinateur plus que toute autre chose est à la fois un plaisir et un défi.

"Ce à quoi j'ai été confronté, non seulement avec Alireza mais aussi avec d'autres jeunes joueurs avec lesquels j'ai travaillé, c'est que, par exemple, ils arrivent avec une proposition qui est très peu conventionnelle pour un type de position connu - non conventionnelle basée sur de vieilles connaissances. J'ai l'habitude de dire "si ça marche", je dois citer mon ami le GM Jan Timman qui répétait : "Si ça marche, je dois réapprendre les échecs ! ". On me rétorquait alors : "Oui, mais l'ordinateur adore ce coup. Nous analysions donc et parfois il s'avérait que l'ordinateur avait tort, dans le sens où l'évaluation ne fonctionne que si les ordinateurs jouent. Pour les humains, l'évaluation peut être différente".

Lorsqu'on lui a demandé de nous soumettre un exemple, Sokolov a décrit la structure de pions suivante qui peut découler de nombreuses ouvertures, telles que la Scandinave, la Caro-Kann, la Française, la Slave, etc.

"Le plan commun est que soit vous poussez b2-b4-b5, soit vous essayez de faire marcher la rupture de pion d4-d5 car, par définition, les blancs ont l'avantage de la paire de fous dans ce genre de positions. Le fou c8 des noirs est sorti quelque part et s'est échangé contre un cavalier.

" Une des nouvelles idées était de ne rien toucher au centre, d'essayer de solidifier, de s'assurer qu'il n'y a pas de rupture facile, de simplement commencer à pousser g2-g4-g5 et h2-h4-h5 et d'avoir ce type d'attaque. Ce n'est pas connu dans les livres classiques comme un plan commun dans une telle position, mais il s'est avéré qu'il peut facilement fonctionner."

Un autre exemple est un plan non conventionnel pour les blancs dans la variante Mar del Plata de l'Est-Indienne : jouer Rg1-h1, tf1-g1, et g2-g3, en d'autres termes, aller à l'encontre du vieil adage "Ne jouez pas sur l'aile où vous êtes plus faible". Il faut dire que ce plan n'est pas complètement nouveau (le GM Alex Yermolinsky l'a employé en 1997 !), mais il a attiré l'attention des forts joueurs car les machines semblent l'apprécier.

"On vous aurait considéré comme complètement fou d'après les principes des vieux livres", a déclaré Sokolov. "Dans mon cas, c'est Tabatabaei qui est venu me voir et m'a dit : 'Vous savez, mon ordinateur a cette idée et je ne vois pas de contre-indication'. J'ai commencé par répondre : 'Allez, ça n'a aucun sens'. Mais ensuite, nous avons commencé à regarder, et j'ai réalisé que l'ordinateur avait raison. Cela a beaucoup de sens".

Sokolov a une méthode concrète qui aide les joueurs à apprendre des ordinateurs : au lieu de choisir les lignes supérieures données par la machine, un joueur doit toujours choisir le coup qu'il jouerait lui-même, ou qu'il s'attendrait à ce que son adversaire joue dans une position. Il peut s'agir du cinquième choix de l'ordinateur car trouver ce qui ne va pas dans votre premier choix peut être très instructif. "C'est un processus pour moi, et évidemment, le fait de travailler avec ces joueurs m'a aidé à comprendre comment fonctionne l'intelligence artificielle et à quel point elle peut souvent vous mettre sur la mauvaise voie : on donne trop d'importance aux évaluations alors que dans le jeu pratique en un contre un, c'est un peu différent".

Sokolov a précisé : "Vous pouvez avoir deux approches. Premièrement, vous pouvez avoir un état d'esprit dans lequel vous essayez d'évaluer une position en vous basant sur des connaissances communes, donc la structure des pions, l'espace, la paire de fous, la sécurité du roi, le potentiel de rupture des pions, l'échange possible de pièces, est-ce que je peux obtenir une meilleure ou une moins bonne finale, et une fois que vous avez terminé avec tous ces éléments, vous calculez pour essayer de trouver le meilleur coup et essayer de justifier votre jugement. Mais bien sûr, cela peut aussi aller dans le sens inverse : vous calculez et en fonction des variantes que vous trouvez, vous essayez d'arriver à une évaluation de la position.

"Je crois que j'appartiens à la première école de pensée et je crois toujours que cette façon de faire est plus pertinente, qu'elle vous permet d'appréhender plus facilement la position dans le jeu pratique. Néanmoins, le jeu est devenu beaucoup concret qu'il ne l'a jamais été et nous pouvons en remercier les ordinateurs."

Entrainer l' Ouzbékistan

Durant le Sharjah Masters, en mai de cette année (où Sokolov était commentateur et où de nombreux joueurs ouzbeks jouaient), il a été contacté par la Fédération des échecs d'Ouzbékistan pour entraîner l'équipe nationale. Après avoir modifié son projet de travailler comme commentateur à Chennai, il a accepté et s'est envolé pour Tashkent, à la fin du mois de juin, où il a rencontré les membres de l'équipe qui avaient déjà été sélectionnés pour les Olympiades : les GMs Nodirbek Yakubboev (20), Javokhir Sindarov (16), Jakhongir Vakhidov (27), et Shamsiddin Vokhidov (20). Le premier échiquier Nodirbek Abdusattorov (17) n'était pas encore là car il disputait le Festival de Bienne.

Uzbekistan chess team
L'équipe d'Ouzbékistan avec de gauche à droite : Sokolov, Abdusattorov, Yakubboev, Vakhidov et Sindarov (Vokhidov n'est pas sur la photo). Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Alors comment a-t-il commencé ?

"J'ai regardé leurs parties des 12 derniers mois sans beaucoup m'attarder sur les ouvertures. J'essayais plutôt de les comprendre en tant que joueurs, comment ils fonctionnent", explique Sokolov. "Il faut comprendre comment leur cerveau marche pour pouvoir les aider à faire les bons choix pour eux-mêmes. Il faut également déterminer quels types de positions leur convient, quels sont leurs "trous" et s'ils peuvent facilement les contourner pour éviter de se retrouver dans des positions qu'ils n'aiment pas".

"J'ai dit dès le début, avant même de prendre le poste : 'Ne vous attendez pas à ce que je fasse tourner Stockfish profondeur 50. Je ne vais pas faire ça, mais je peux vous aider à devenir un meilleur joueur, à faire les bons choix, peut-être à vous indiquer quelque chose sur lequel vous devriez travailler.'"

Sokolov a donc donné aux joueurs beaucoup de positions de milieu de jeu, provenant soit d'ouvertures spécifiques, soit de types de positions spécifiques, ainsi que des positions où il s'est concentré sur leur processus de prise de décision. Il a déclaré que sa base de données de positions s'est déjà renouvelée d'environ 70 % depuis le temps où il travaillait avec l'équipe iranienne.

"C'est ce que vous devez faire en tant qu'entraîneur pour rester dans le coup : continuer à mettre à jour votre base de données afin de comprendre les développements de milieu de jeu et aussi les nouvelles idées d'ouverture parce que vos joueurs vont être confrontés à cela devant l'échiquier. Vous devez essayer de les comprendre, vous devez avoir une opinion et vous devez savoir cela. Vous ne pouvez pas dire à un joueur : 'Je n'en sais rien. C'est différent de l'époque où j'étais joueur, où, en tant que joueur de 1.d4 et 1...e5, je ne pouvais pas me soucier moins de ce qui se passait dans la Najdorf ou la variante Winawer de la Française. Ca ne m'intéressait pas du tout. Maintenant, je ne peux pas me permettre ce luxe'".

Sokolov a résumé les différents styles de ses poulains de cette façon :

Abdusdattorov : "proche de Magnus."
Yakubboev : "un joueur plus complet."
Sindarov : "un pur tacticien."
Vakhidov : "un excellent théoricien."
Vokhidov : "principalement un tacticien."

"Dans mon cas, comprendre comment travailler avec eux m'a aidé aussi pendant les Olympiades à faire les bons choix d'ouverture", a déclaré Sokolov. "Mais ce n'était pas toujours aussi simple, par exemple, j'étais très malheureux quand j'ai vu cette position de type Est-Indienne que Sindarov a obtenu contre Praggnanandhaa R dans notre match contre l'Inde 2.

"La ligne jouée par Praggnanandhaa était un excellent choix contre Sindarov. Il a échangé les pions en e5 et ils ont obtenu cette position relativement symétrique où les blancs ont un très petit avantage, ce qui n'est peut-être pas terriblement ambitieux, mais pour un joueur tactique comme Sindarov, il était difficile de gérer ce genre de position, alors qu'un joueur technique comme Praggnanandhaa se sentait probablement très à l'aise. La partie a confirmé cela : les noirs ont essayé de résoudre la situation de manière tactique, ce qui n'a finalement pas fonctionné. Ce n'est qu'un exemple de choix : l'avantage des blancs était minime mais la position sur l'échiquier leur convenait bien mieux."

Praggnanandhaa vs Sindarov Chennai Olympiad
Sokolov réconfortant Sindarov après sa défaite contre Praggnanandhaa. Photo : Lennart Ootes/FIDE.

Au football ou dans d'autres sports, on discute sans cesse de la part de responsabilité de l'entraîneur dans les résultats de l'équipe. Comment Sokolov considère-t-il son rôle dans le succès de l'Ouzbékistan ?

"Disons les choses comme elles sont. Je pense qu'en tant qu'entraîneur, vous pouvez mieux aider les joueurs si vous avez vous-même été dans cette situation. Je n'ai pas gagné l'or olympique, mais j'ai remporté l'argent [derrière la Russie, en tenant le deuxième le 2ème échiquier de la Bosnie-Herzégovine lors des Olympiades de Moscou en 1994]. Nous avons été champions d'Europe en 2005 [avec les Pays-Bas]. Et comme je l'ai dit, j'ai battu de nombreux champions du monde. Sur la base de ces expériences, je pense que je peux aider énormément les joueurs. Cela équivaut à avoir Zinedine Zidane ou José Mourinho, ou ce que vous aviez aux Pays-Bas, Johan Cruyff ou Louis van Gaal. Je parierais sur Cruyff ou Zidane".

Il ajoute : "Quelle est mon impact en points en terme de pourcentage ? Je n'en sais rien. Mais je sais une chose : mes succès avec Salem, avec l'Iran et maintenant avec l'Ouzbékistan ne sont pas une coïncidence. Voilà ce que je sais."

Avant les Olympiades, Sokolov ne visait pas vraiment la médaille d'or à Chennai. "Objectivement, non, mais je pensais qu'une médaille pouvait être une option. Lorsque j'étais à Tachkent, on m'a demandé à plusieurs reprises si une médaille était réalisable, mais même si je pensais que c'était possible, je ne voulais pas susciter d'attentes. Je trouvais très improbable de voir les États-Unis ne pas gagner. Je me disais : quelles sont nos chances d'être les meilleurs parmi les autres équipes ?

"En analysant les forces en présence, je me suis dit que nous avions quelques chances car l'Inde avait bâti trois équipes pour bien figurer mais aucune pour gagner. Sans quoi le GM Gukesh D. aurait évidemment été dans la première équipe. Les trois équipes indiennes étaient fortes mais battables, tout comme, par exemple, les Pays-Bas, l'Allemagne, la France ou l'Espagne.

"Je pensais effectivement que notre équipe était sous-classée, et j'avais raison car collectivement nous avons gagné environ 80 points Elo ou quelque chose comme ça [84,4 pour être précis]."

Éch. Féd Titre Nom Elo 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 Pts. Parties Rp Elo +/-
1 GM Nodirbek Abdusattorov  2688 1 1 1 1 1 0 1 ½ ½ 1 ½ 8,5 11 2803 21,1
2 GM Nodirbek Yakubboev  2620 1 1 ½ ½ 1 ½ 1 1 ½ ½ ½ 8 11 2759 20,6
3 GM Javokhir Sindarov  2629 1 1 1 0 1 ½ ½ 1 0 ½ 6,5 10 2655 7,7
4 GM Jakhongir Vakhidov  2564 1 ½ 1 1 ½ 1 ½ 1 6,5 8 2813 25,1
5 GM Shamsiddin Vokhidov  2552 1 ½ 1 1 3,5 4 2755 9,9

"La première fois que j'ai pensé que nous pouvions décrocher la médaille d'or, c'était pendant la journée de repos, parce que je me suis dit, OK, nous avons joué contre les États-Unis, et il ne semble pas qu'ils vont gagner ces Olympiades."

Lorsque l'intervieweur lui a demandé, sur le ton de la plaisanterie, s'il avait tenu ses joueurs à l'écart de la Bermuda Party [une fête traditionnelle toujours organisée aux Olympiades avant la journée de repos], Sokolov a répondu par un oui ferme. "Ils étaient très enthousiastes à propos de la Bermuda Party, mais je leur ai dit : 'Ecoutez, il vous est interdit d'y aller, mais je vais aussi me punir moi-même. Ce sera la première Bermuda Party depuis 1988 à laquelle je n'assisterai pas moi-même. Je vais donc aussi rester à l'hôtel, si cela peut vous consoler". Ils ont essayé un peu en disant : "Nous n'y allons que pour quelques heures. Mais j'ai répondu : "Les garçons, il y a un petit problème. Je ne suis pas né de la dernière pluie. Il fut un temps où j'avais votre âge, et je n'y crois pas. Cela ne va pas se produire. C'était donc une bonne décision."

Lors de la journée de repos, Sokolov a soutenu à son équipe que les chances de gagner les Olympiades étaient réelles. Il a également expliqué qu'avoir fait 2-2 contre les États-Unis était un excellent résultat, bien qu'ils aient laissé passer une grosse opportunité de gagner. "Je leur ai dit : un, nous ne pouvons pas les rejouer ; deux, nous avons un meilleur départage et cela ne changera probablement pas ; et trois, ils vont battre d'autres équipes pour nous dégager la route tandis que nous allons jouer contre des équipes moins fortes sur le papier. Comme nous le savons, l'histoire ne s'est pas vraiment déroulée comme ça".

Sokolov a admis que l'équipe a eu sa part de "réussite du vainqueur" lors du match contre l'Inde 2 dans l'avant-dernière ronde. "Nous avons eu une chance incroyable de ne pas perdre car, OK, Gukesh a gâché une position complètement gagnante. Dans ce match, je m'étais résigné à une défaite 3-1, mais à un moment donné, j'ai compris que quelque chose de vraiment bien pouvait se produire."

Sokolov Ramesh
Sokolov (à gauche) avec le GM R.B. Ramesh, le coach de l'Inde 2, durant le duel décisif aux Olympiades. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

"Nous avons eu beaucoup de chance que Gukesh ne veuille pas accepter le fait qu'il ait gâché une position gagnante pour faire nulle et qu'il ait trop poussé de manière non objective".

Voici une fois de plus cet affrontement fatidique entre Gukesh et Abdusattorov, annotée comme la partie du jour par le GM Davorin Kuljasevic dans notre compte-rendu de la ronde 10 :

Sokolov : "Avant même la pièce donnée, j'avais le sentiment qu'Abdusattorov allait gagner. Il avait un avantage considérable à la pendule et le scénario de la partie était propice. C'est pourquoi il est beaucoup plus facile pour un ordinateur de défendre des positions nulles que pour les humains. Comment Gukesh peut-il sortir de son esprit la position qu'il avait 20 coups plus tôt ? C'est totalement impossible car c'est un humain".

À l'heure où nous publions ces lignes, Sokolov est de retour à Tachkent pour discuter de la poursuite de son travail avec les joueurs ouzbeks et il semble maintenant tout à fait probable qu'il continue. En fait, il sera certainement accueilli à l'aéroport comme un héros.

À la fin du dernier match, le téléphone de l'un des responsables de la Fédération des échecs d'Ouzbékistan a sonné. À l'autre bout du fil, ce n'était autre que le président de l'Ouzbékistan, Shavkat Mirziyoyev, qui félicitait tout le monde. Sokolov n'a pas pu commenter l'exactitude des comptes-rendus des médias qui suggèrent que chaque joueur recevra 55 000 dollars et une voiture en rentrant chez lui, mais il a noté que pour certains, la somme réelle est considérablement plus élevée. Avec une prime contractuelle pour l'or olympique, Sokolov lui-même a reçu un joli bonus.

Les prochaines Olympiades auront lieu dans deux ans à Budapest, en Hongrie, où les jeunes Ouzbeks seront encore plus forts et arriveront dans la compétition avec un autre statut. Défendre leur titre représentera une situation inédite pour eux. Deux ans plus tard, en 2026, les Olympiades se dérouleront chez eux à Tachkent, l'Ouzbékistan ayant remporté l'organisation de l'événement lors du congrès de la FIDE.

PeterDoggers
Peter Doggers

Peter Doggers joined a chess club a month before turning 15 and still plays for it. He used to be an active tournament player and holds two IM norms. Peter has a Master of Arts degree in Dutch Language & Literature. He briefly worked at New in Chess, then as a Dutch teacher and then in a project for improving safety and security in Amsterdam schools. Between 2007 and 2013 Peter was running ChessVibes, a major source for chess news and videos acquired by Chess.com in October 2013. As our Director News & Events, Peter writes many of our news reports. In the summer of 2022, The Guardian’s Leonard Barden described him as “widely regarded as the world’s best chess journalist.”

Peter's first book The Chess Revolution is out now!

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