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Le bras de fer continue
Sixième partie nulle de suite. Sans doute la plus calme de la série... Photo : Eng Chin An/FIDE.

Le bras de fer continue

Colin_McGourty
| 1 | Couverture d’événements d’échecs

Gukesh Dommaraju a obtenu une position prometteuse, mais sans parvenir à faire fructifier un quelconque avantage lors de cette neuvième ronde du Championnat du monde FIDE 2024. Avec les noirs, le champion du monde Ding Liren a su liquider sans trembler pour assurer la nulle. A cinq parties du terme, les deux hommes restent au coude à coude. Après une journée de repos ce vendredi, c'est le Chinois qui aura les blancs (et qui les aura une fois de plus d'ici la fin du match).

La dixième partie aura lieu samedi 7 décembre à partir de 10 heures, heure de Paris.

Score du match

Nom Elo 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 Score
  Ding Liren 2728 1 ½ 0 ½ ½ ½ ½ ½ ½ . . . . . 4.5
  Gukesh Dommaraju 2783 0 ½ 1 ½ ½ ½ ½ ½ ½ . . . . . 4.5
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La retransmission avec Kévin Bordi et le GM Fabien Libiszewski.
Les occasions de marquer vont se faire de plus en plus rare à Singapour. Photo : Eng Chin An/FIDE.

L'analyse du grand maître, par Rafael Leitao

Le GMI Rafael Leitao a analysé pour vous la neuvième partie :

Un Gukesh d'humeur catalane

"L'art de la prédiction est une chose difficile. Surtout lorsqu'elle concerne le futur" disait le physicien Niels Bohr. Notre commentateur en anglais pour cette neuvième partie, le GMI Anish Giri, se fendait d'un pronostic en trois mots au début de la ronde : "Gukesh va gagner !" Un coup d'épée dans l'eau, mais ses prédictions sur l'ouverture allaient se révéler bien plus prophétiques !

La phase d'ouverture de chaque partie de championnat du monde est toujours fascinante. Photo : Eng Chin An/FIDE.

A ce stade du match, les deux équipes de secondants sont sous une pression maximale. Il faut trouver de nouvelles idées ! Quand on lui demandait si sa stratégie avait évolué depuis la première partie, Ding répondait avec son honnêteté habituelle : "Dans les grandes lignes, la stratégie est la même : pas besoin de gagner à tout prix. Mais nous avons de moins en moins d'idées à disposition, car nous en avons déjà essayé beaucoup. C'est la principale différence."

Nous avons de moins en moins d'idées à disposition, car nous en avons déjà essayé beaucoup. 

—Ding Liren

Juste avant la partie, Giri isolait quelques options :

"Aux échecs, il ne faut jamais sous-estimer l'étendue des possibilités en matière d'ouverture. J'ai réfléchi à ce que je jouerais si j'étais Gukesh... Il reste quelques territoires non-explorés dans ce match. Ils n'ont pas joué de parties catalanes, par exemple, une ouverture qu'on aurait pu s'attendre à voir entre ces deux grands adeptes… Je ne serais pas surpris si c'était son jour !"

Bien vu, Anish ! Après le premier coup 1.d4, c'est bien une catalane qui apparaissait sur l'échiquier avec les coups thématiques g3 et Fg2 côté blanc.

Quelle chance d'avoir un spécialiste mondial de la variante pour analyser cette partie !  

La partie suit Giri-Niemann, Ding oublie son analyse

Lorsque le coup 10.Fc3!? était joué, on entrait dans des territoires peu explorés. Parmi les rares parties ayant suivi cette voie figurait la "traumatisante" (selon l'intéressé) rencontre longue de 117 coups entre Giri et Hans Niemann, jouée en aout lors de leur match à Utrecht. Ding s'offrait alors une réflexion de 19 minutes, laissant le loisir à nos commentateurs de se pencher en détails sur l'ouverture et sur bien d'autres sujets…

Giri indiquait que le choix de Niemann 10...Ce4!? lui avait semblé très naturel, mais qu'il forçait les noirs à jouer une position très tranchante et donc risquée. Ding optait plutôt pour le très sain 10...Fb7, tandis que Giri admettait que son idée d'ouverture "n'était pas la plus créative de l'histoire". Bien que le clan Gukesh soit visiblement en recherche de léger avantage stable et que ce choix soit compréhensible, l'ouverture allait se révéler plutôt inoffensive. 

Ding Liren a encore passé beaucoup de temps sur la fin de l'ouverture. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Elle avait toutefois le mérite de faire réfléchir Ding, qui reconnaissait en conférence de presse connaitre cette idée de Giri, mais avoir oublié sa propre analyse. Plus tard, au micro de Mike Klein, il avouait également avoir gardé un œil sur le classement en direct durant le match, ce qui lui a permis de voir qu'il avait redépassé les deux protagonistes de la partie d'Utrecht !

Le GMI chinois se retrouvait donc seul devant l'échiquier, mais parvenait à trouver de forts coups. La première nouveauté du jour était le coup 12...Tfd8, qui déviait du 12...Tac8 joué en Bundesliga en 2018 par le GMI ukrainien résidant en France Sergey Fedorchuk. Giri connaissait bien cette partie pour avoir travaillé avec le conducteur des pièces blanches, son compatriote Erwin L'Ami. C'était sans doute le coup analysé en priorité par Gukesh dans le cadre de sa préparation.

Sa réponse, 13.b4, était ambitieuse, et faisait à nouveau réfléchir Ding pendant 18 minutes.

"J'espère que Ding ne va pas se laisser bluffer ! Il semble inquiet… On peut parfois voir des fantômes ici, par exemple après 13...c5!—Mais je pense qu'il va s'en sortir." commentait Giri. C'était le cas. Le champion du monde ne tremblait pas et poussait c5 pour empêcher les blancs de le faire avant lui.

Sur l'échiquier, tout se passait donc bien pour Liren, mais le coup 16.Fa5! allait lui faire prendre un retard de 50 minutes à la pendule…

Gukesh rate sa chance

Les choses auraient alors pu mal tourner côté Ding, car après la prise (correcte) en c5, il prenait en f3 avec le fou au lieu de forcer les choses en prenant en c4 avec le cavalier.

Cependant, pour se permettre cette prise en c4, il fallait avoir vu une longue ligne dans laquelle la moindre erreur pouvait s'avérer fatale. Le Chinois avait pourtant fait l'effort, mais il expliquait qu'après 17...Cxc4 18.Txc4 Dxa5 19.Dxb7, il avait regardé 19...Ff8, 19...Fd5 et 19...Rf8, mais pas le bon coup 19...Cd7!, qui égalisait sur le champ.

Ding découvrant la ressource Cd7, ratée en partie.

Après le coup de la partie, Gukesh avait ses chances, mais avec près d'une heure d'avance à la pendule, il n'utilisait que 13 minutes pour jouer un coup logique qui pourtant faisait fondre son avantage comme neige au soleil : 20.Db5?!

L'Indien pourra nourrir des regrets :

"J'ai peut-être joué ce 20.Db5 un peu trop vite. J'aurais pu essayer autre chose, comme 20.e3 ou 20.Ce5, qui offraient sans doute des petits avantages. Mais je pensais que Db5 fonctionnait concrètement."

Lorsque Gukesh a entamé sa réflexion profonde, il était déjà trop tard… Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Pour la troisième fois dans ce match, Ding prenait le pion a2 et enchaînait rapidement les coups pour se garantir une position complètement égale. Gukesh reconnaissait avoir raté la très forte idée 21...Da7! après 20...Dxa2 21.Cxb6. En effet, la tour se prépare à venir en a5 pour ensuite reprendre en c5 si les blancs décident d'échanger.

"J'avais de nombreux pièges dans cette position mais concrètement, tout fonctionnait pour les noirs" reconnaissait l'Indien, qui passait 31 minutes sur le coup 22.Db1 pour finalement se heurter à l'excellente défense 22...Tb8!. A ce moment, il est devenu clair que la nulle devenait le seul résultat possible.

Les coups s'enchaînaient rapidement et voyaient le pion c5 et les dames disparaître de l'échiquier.

Ding du bon côté de la nulle

"Après ça, je n'ai pas été très précis, mais aucune importance, c'était égal, de toute façon" remarquait Gukesh, qui résumait bien la fin de partie. "C'est le moment de jouer un maximum de coups pour faire monter leur note de précision" commentait le toujours mordant Giri.

Fait rare à Singapour : Aucun joueur devant l'échiquier ! Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

C'est ce que faisaient les deux hommes, qui s'assuraient une très haute note de précision au terme de ces 54 coups, l'évaluation déclarant objectivement la position comme nulle n'ayant jamais évolué. 

A l'œil humain, il restait toutefois un peu de travail, et Ding transposait d'un rapport matériel cavalier contre fou vers une finale de tours légèrement avantageuse. Il profitait donc pendant quelques coups d'une position sans risque et sans pression à la pendule.

Tentait-il de prendre une petite revanche en continuant à jouer cette position égale, comme son adversaire l'avait fait dans les parties précédentes ? Selon Giri, sur le plan de la guerre psychologique, il est déjà trop tard…

Le champion du monde semble pourtant tout à fait imperméable à ces considérations psychologiques, et reconnaissait même en conférence de presse consulter les réseaux sociaux pendant le match : "Parfois, c'est un bon moyen de faire redescendre la tension après une partie." Mais qu'a-t-il pu y lire ?

"J'ai appris que je sous-estimais toujours mes positions, tandis que mon adversaire surestimait les siennes. J'ai également lu quelqu'un qui disait que je faisais tout le temps nulle, même quand j'étais mieux, mais cela ne m'affecte pas tant que ça, il me semble."

J'ai lu quelqu'un qui disait que je faisais tout le temps nulle, même quand j'étais mieux, mais cela ne m'affecte pas tant que ça…

—Ding Liren

Ding semble beaucoup plus à l'aise à Singapour qu'il y a deux ans à Astana. Photo : Eng Chin An/FIDE.

On n'ira pas jusqu'à avancer que le Chinois était mieux dans la finale, mais Giri remarquait tout de même que Gukesh avait défendu "de la pire manière possible" et se réjouissait à l'avance de commenter "une petite finale de tours un peu piégeuse". Ding choisissait pourtant d'y mettre un terme rapide en acceptant un échange général.

Avec exactement le même temps restant à la pendule, les deux joueurs se retrouvaient donc avec des rois dépouillés et se tendaient la main.

Score de parité, toujours, avec 4,5 à 4,5. Ce vendredi sera une journée de repos, et Ding aura un léger avantage avec trois blancs et deux noirs lors des cinq dernières parties.

Un match bien résumé par le champion du monde, toujours aussi raisonnable : "Nous sommes de force équivalente, personne n'est vraiment mieux dans ce match, il va être très difficile à gagner !" Gukesh philosophait sur les occasions manquées par chacun et se réjouissait des joutes à venir : "Nous avons tout les deux montré une belle combativité, de beaux échecs, et il reste cinq grandes parties à venir !"

Nous avons tout les deux montré une belle combativité, de beaux échecs, et il reste cinq grandes parties à venir !

—Gukesh Dommaraju

Pour son premier match de championnat du monde, l'attitude de Gukesh est exemplaire. Photo : Eng Chin An/FIDE.

Lorsqu'un journaliste taquin leur demandait à quel moment de la partie ils auraient utilisé l'ordinateur s'ils en avaient eu l'occasion, les deux hommes déclenchaient chacun leur tour l'hilarité de l'assistance :

Gukesh : “Je n'ai jamais envie de tricher !” 


Ding : “Aujourd'hui, je n'avais aucune chance de gain, vous me laissez cette option une autre fois ?” 

Après un triptyque riche en émotions, les joueurs ont bien mérité leur journée de repos. La bataille reprendra, plus féroce que jamais, dès samedi. L'un des deux protagonistes parviendra-t-il à prendre l'avantage ? Filons-nous tout droit vers des départages rapides ? Comment le remarquait fort justement Gukesh : "Plus l'échéance approche, plus c'est excitant !"


L'analyse vidéo de Kev et Fab

Fab a une idée pour Ding Liren ! Découvrez-la dans la vidéo ci-dessous :


Le Championnat du Monde FIDE 2024 se déroule à Singapour et déterminera le prochain champion du monde. Le challenger indien Gukesh Dommaraju, 18 ans, affronte le tenant du titre chinois Ding Liren dans un match en 14 parties classiques, le premier à atteindre 7,5 points étant déclaré vainqueur. La cadence est de 120 minutes pour les 40 premiers coups, suivies d'un ajout de 30 minutes avec un incrément de 30 secondes par coup à partir du 41ème coup. La dotation s'élève à 2 500 000 dollars, dont 200 000 dollars pour le vainqueur et le reste distribué en parts égales. En cas d'égalité 7-7, des départages auront lieu, commençant par un mini-match de quatre parties rapides en 15+10.


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    Colin_McGourty
    Colin McGourty

    Colin McGourty led news at Chess24 from its launch until it merged with Chess.com a decade later. An amateur player, he got into chess writing when he set up the website Chess in Translation after previously studying Slavic languages and literature in St. Andrews, Odesa, Oxford, and Krakow.

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