Teimour Radjabov : "Je devrais consulter un avocat"
Teimour Radjabov envisage une action en justice à présent que la seconde moitié du tournoi des candidats de la FIDE a été reportée en raison de la crise liée au coronavirus. Le grand maître azéri, qui avait prédit de graves problèmes et s'était retiré du tournoi, a été interviewé jeudi sur Chess.com/TV.
Le forfait de Radjabov avait été rendu public le 6 mars, soit 11 jours avant la première ronde, à Ekaterinbourg. Il avait expliqué les raisons de sa décision dans la déclaration suivante :
"Le Tournoi des Candidats est un marathon d'échecs, composé de 14 rondes sur 22 jours. Personne ne m'a expliqué comment le tournoi allait se développer parallèlement à cette épidémie mondiale, quelles mesures seraient prises en cas de détection du virus ou à l'égard d'un participant malade. En raison de la complexité de la situation, je me suis tourné vers la FIDE [et] j'ai demandé de reporter le tournoi à une date ultérieure. Cette requête a été rejetée. En raison des points évoqués, j'ai considéré que de telles conditions pouvaient grandement affecter le niveau de concentration et l'état d'esprit nécessaire pour jouer à son meilleur niveau dans un tournoi aussi important que celui des Candidats, et qu'un danger pour la santé des joueurs existait. En conséquence, j'ai été remplacé par un autre participant".
La décision de Radjabov a fait le bonheur de Maxime Vachier-Lagrave et comme prévu le coup d'envoi du tournoi a été donné. Tandis que la pandémie de coronavirus devenait une crise mondiale, les choses semblaient, dans un premier temps, se développer plus lentement en Russie malgré le mécontentement exprimé par certains des participants quant à l'atmosphère du tournoi.
Lorsqu'il a été annoncé jeudi que le trafic aérien en provenance et à destination de Russie serait interrompu, la FIDE a dû stopper immédiatement la compétition afin que les participants (internationaux) puissent rentrer chez eux.
L'interview de Radjabov a été réalisée par le GM Robert Hess et le MI Daniel Rensch dans le cadre des du "show d'après-tournoi" de Chess.com, mis en place pour recueillir les réactions des principaux acteurs. Vous trouverez ci-dessous la version écrite de l'entretien, dans laquelle certains points ont été fusionnés et la langue améliorée pour plus de clarté.
La vidéo avec l'interview complète
Daniel Rensch : Vous avez vu venir la dégradation de la situation plus tôt que quiconque, vous avez agi avec intégrité et avez exprimé votre point de vue selon lequel il fallait reporter le tournoi. La seule façon pour vous de faire entendre votre voix était d'agir selon vos principes et de vous retirer. Maintenant que le tournoi a été interrompu, comment gérez-vous tout cela, comment vous sentez-vous, êtes vous vindicatif ? Comment remédier à la situation ?
Tout d'abord, je rappelle que je me suis exprimé dans une lettre que j'ai envoyée à [Arkady] Dvorkovich. Ensuite, il m'a renvoyé une lettre officielle à propos de toutes les actions légales que la FIDE pouvait entreprendre dans cette situation où il était écrit que le tournoi ne pouvait pas être reporté de manière "non légale". De plus, des représentants très haut placés de la FIDE, dont le président, m'ont assuré qu'ils suivaient toutes les instructions des autorités russes et qu'ils n'arrêteraient pas le tournoi parce que tout allait bien.
Plus tard, le ministre des sports de Russie a déclaré dans la presse que si les fédérations sportives internationales voulaient reporter des événements sur le territoire de la Russie, elles devaient envoyer la demande au ministère des sports, après quoi elles pourraient prendre cette décision. On m'a dit le contraire : une fois que le ministère des sports n'arrête pas l'événement, la FIDE ne peut pas prendre de mesures. Donc leurs affirmations contredisent les propos du ministère russe des sports - qui est, je suppose, l'autorité compétente pour savoir comment les choses se passent.
Leurs affirmations contredisent les propos du ministère russe des sports - qui est, je suppose, l'autorité compétente pour savoir comment les choses se passent.
Après avoir envoyé cette lettre et reçu cette réponse, j'ai eu droit à l'ultimatum que j'ai partagé sur mon compte Instagram. Je pouvais dire oui, je pouvais dire non, je pouvais dire n'importe quoi en fait mais en plus du "oui, je joue dans ces circonstances", il y avait deux options : soit dire OK, me retirer du tournoi parce que je ne suis pas d'accord avec cela, soit ne pas répondre, ce qui serait considéré comme la même chose. Donc, quelques heures avant la date limite, j'ai dit OK, s'il n'est pas possible de reporter l'événement, je me retire.
En outre, à l'époque, ils pensaient d'une certaine manière que la situation n'était pas critique. Ils faisaient référence à certains tournois qui étaient toujours en cours, mais la différence entre les événements de la FIDE et les tournois en cours est justement qu'ils sont en cours. C'est bien là le problème. Quand vous envisagez de commencer l'événement dans ces circonstances, vous devez commencer par analyser les tenants et les aboutissants lors de l'assemblée générale de la FIDE, je ne sais pas exactement comment cela fonctionne. Je pense qu'ils auraient dû prendre la bonne décision à ce moment-là. À présent, il est avéré qu'annuler était le choix à effectuer, ils ont fini par s'y résoudre et créer tout ce gâchis. Maintenant, la situation est super compliquée.
Je pense que la FIDE devrait prendre des mesures pour me réintégrer dans le tournoi, c'est mon avis. Je pense que c'est une décision juste. De mon côté, j'estime avoir fait tout ce qui était possible. J'ai juste ouvert le dialogue, je les ai avertis, j'ai aussi prévenu la communauté échiquéenne en exprimant ouvertement mon point de vue. Il n'y a pas eu de réaction de la part de la FIDE et maintenant voilà où nous en sommes.
Je pense que la FIDE devrait prendre des mesures pour me réintégrer dans le tournoi, c'est mon avis. Je pense que c'est une décision juste.
En outre, le 16 mars, le ministère des sports de Russie a déclaré que tous les événements sportifs sur le territoire russe devaient être arrêtés. La FIDE était déjà en train d'organiser cette ridicule cérémonie d'ouverture avec quelques milliers de personnes. En réalité, lors de cette cérémonie, ils ont compris le message et auraient certainement dû arrêter l'événement.
Puis il y a eu une sorte d'interview de Dvorkovich et [Emil] Sutovsky où ils disaient "Nous n'annulons pas parce que nous avons commencé le 15 mars." Dois-je vraiment faire un commentaire à ce sujet ? Est-ce que cela a un sens quelconque ?
Vous savez que ça va arriver et que ça se passera en plein milieu du plus important tournoi d'échecs. Le monde entier se moque de nous parce que nous sommes les seuls à avoir commencé l'événement à ce moment-là. Surtout un événement de ce calibre. De plus, les joueurs ont exprimé leur vision sur la façon dont cela se déroulait et cela ne se passait pas bien du tout, avec des circonstances jugées hostiles par [Alexander] Grischuk, Wang Hao et tous les autres.
Dans ma lettre, je disais qu'en plus de la situation liée au coronavirus, ce que nous allions faire durant ce tournoi n'était clair pour personne. La FIDE a déclaré qu'elle savait ce qu'elle faisait, avec toutes les mesures qu'elle allait prendre. La FIDE est l'autorité en matière d'échecs, mais comme vous pouvez le voir, même les grands États dotés d'un grand pouvoir et de grandes capacités ne peuvent pas combattre le virus - mais la FIDE a dit d'une certaine manière qu'ils sont capables de faire vraiment tout ce qui est possible dans la situation donnée. Mais en réalité, rien n'est possible. Pour être honnête, il n'y a rien que vous puissiez faire pour le moment. Il n'y a rien que vous puissiez faire, à part reporter l'événement dans les circonstances actuelles.
Comme vous pouvez le voir, par exemple, des industries d'un milliard de dollars en souffrent et elles déplacent des événements qui coûtent des centaines de millions d'euros, et nous ne pouvons pas reporter l'un des plus importants tournois d'échecs juste pour cinq, six mois, disons, avec la possibilité de jouer à la fin de l'année ? Ce serait la chose normale à faire. Tous les autres événements ont également été reportés, aux échecs aussi, et beaucoup d'entre eux ont été annulés avant les candidats. Je ne peux pas comprendre.
Robert Hess : Nous avons eu des responsables de la FIDE dans l'émission plus tôt qui ont dit que la situation en Russie n'était pas si mauvaise à l'époque. Quelles informations avez-vous examinées lorsque vous avez pris cette décision ?
Tout d'abord, je pense que c'est le 4 mars que je me suis entretenu avec Dvorkovich. D'ailleurs, ils ont dit que je quittais le tournoi pour des "raisons personnelles". Si le coronavirus et toute cette situation sont des "raisons personnelles", que puis-je ajouter ? Mais c'était certainement très étrange de la part de la FIDE.
Lorsque Dvorkovich m'a dit que, selon ses informations, la situation n'était pas encore si mauvaise et qu'elle allait probablement s'améliorer, j'ai répondu : selon mes informations, elle va être vraiment mauvaise. J'en ai discuté et je l'ai analysée aussi et vous savez, parfois je peux prévoir ce genre de choses, comme le prix du Bitcoin et des choses comme ça. C'est beaucoup plus facile à calculer pour moi parce que c'est en fait indirectement lié à ma profession.
Donc, de manière générale, je voyais toutes les nouvelles concernant le football, que beaucoup de tournois seraient reportés et déjà au moment où je parlais à Dvorkovich, certains d'entre eux étaient reportés à coup sûr. En fait, j'ai mentionné dans ma lettre que des événements sportifs étaient annulés dans le monde entier. Il suffisait de regarder les infos pour comprendre que vous ne devriez pas organiser une compétition de cette importance, très facile à reporter par rapport à la coupe d'Europe de football et à tous ces grands événements comme les Jeux olympiques. C'était si facile à prévoir. Je ne perçois pas vraiment de problème. Je ne comprends pas pourquoi d'autres ont été négligents à cet égard.
Parfois, jusqu'à ce que cela atteigne vraiment leur région ou leur pays, les gens ne voient pas cela comme une menace directe, vous savez. Nous étions comme toujours d'accord avec ça, d'accord qu'il y a une grippe, c'est normal de se sentir malade et probablement que ça va juste s'estomper à un moment donné et que tout ira bien mais en fait, avec mon analyse, il allait être difficile de jouer ces trois semaines sans être perturbés et essayer de faire comme si de rien n'était, comme le dit Magnus, "puisque vous êtes déjà au travail, autant le faire". Dans ces circonstances, c'est vraiment difficile.
Maintenant, on voit que tout le monde a même des problèmes pour rentrer chez lui. À l'époque, bien sûr, je ne savais pas que cela arriverait, mais je pensais certainement que conduire un tel événement pendant trois semaines serait insupportable. Il est certainement difficile pour moi de jouer psychologiquement dans ces circonstances, car je recevais à chaque seconde du monde entier l'information que tout s'arrête. Si vous annulez des événements aussi importants, vous comprenez que des mesures sont prises parce que tout le monde réalise que c'est énorme. Ce n'est pas quelque chose de simple.
Rensch : Dites-nous combien vous vous êtes préparé aux candidats et, comme l'a dit Robert, combien cela aurait signifié pour vous de pouvoir jouer et d'avoir une chance de vous battre pour le titre mondial.
Il est toujours difficile de parler de chances. C'est toujours problématique parce que, par exemple, je n'étais pas considéré comme le joueur qui allait gagner la Coupe du monde, je n'étais pas un favori évident, je n'étais même pas un des favoris à vrai dire, Mais parfois, tout le monde a ses chances, surtout dans un tournoi de haut niveau. Cela dépend de la façon dont on l'aborde. J'ai joué au plus haut niveau et je joue encore au plus haut niveau depuis longtemps, donc je connais certainement quelques trucs sur les échecs et sur la façon de se préparer, etc. Mais on ne sait jamais avant de commencer le tournoi comment il va se dérouler. Par exemple, on ne s'attend pas à ce que Ding Liren commence comme ça, ou même à ce que Caruana n'ait que la moyenne après 7 rondes.
Je me suis préparé avec les GMs Leinier Dominguez, Vladimir Chuchelov et Sergey Karjakin, j'ai d'ailleurs effectué plusieurs mois d'entraînement avec ces deux derniers. Nous nous préparions pour le tournoi et nous avons fait beaucoup de choses mais comme je l'ai dit, on ne sait jamais. On peut être super préparé et ensuite mal jouer ou on peut être mal préparé et parfois jouer de façon incroyable.
Je me suis préparé avec les GMs Leinier Dominguez, Vladimir Chuchelov et Sergey Karjakin, j'ai d'ailleurs effectué plusieurs mois d'entraînement avec ces deux derniers. Nous nous préparions pour le tournoi et nous avons fait beaucoup de choses.
Mon équipe de secondants n'est pas celle d'un match de Championnat du Monde que je révélerais juste avant son démarrage. Je peux même dire que j'aurais joué les ouvertures que j'aime jouer, donc ce n'est pas un problème pour moi d'être honnête comme pour les autres joueurs. Ce n'est pas le genre de super préparation que je cachais. C'est juste que je n'aime pas m'exprimer sur la préparation quand elle est en cours comme par exemple, [Anish] Giri le fait sur son Instagram. C'est le joueur qui décide, c'est bien. En ce qui concerne Magnus [Carlsen], je ne vois pas beaucoup de photos de lui. Pour Giri, c'est différent. Pour Caruana, il y a parfois quelques fuites .
Mais je travaille surtout avec Chuchelov, parfois je m'entraîne avec Sergey et c'est ainsi que je me prépare, sans oublier bien sûr, que je travaille seul. Mais dans ce cas précis, nous nous préparions, nous étions sûrs que le tournoi allait avoir lieu lorsque nous avons commencé la préparation. Mais ensuite, il m'est apparu de plus en plus clairement que quelque chose allait affecter le monde entier.
Hess : Donc pour ceux qui disaient "Oh, si Radjabov voulait vraiment jouer, il aurait joué", vous nous affirmez que vous vous prépariez très sérieusement et que vous vouliez clairement participer aux Candidats afin de pourquoi pas vous qualifier au Championnat du Monde.
Bien sûr. Il n'y a aucune raison pour que je sois simplement hors du tournoi ou que je ne fasse rien et que je reste à la maison. En fait, c'est ma profession. En plus de certaines blagues que j'ai faites pendant la Coupe du monde, je les faisais parce qu'il y a une sorte de tradition en Azerbaïdjan qui veut que vous disiez que vous n'essayez pas de gagner pour ne pas vous attirer le mauvais œil. C'est ce que j'ai fait durant toutes les interviews de la Coupe du Monde et, en fait, lors de la dernière, j'ai dit "Les gars, ce n'était bien sûr qu'une blague." Évidemment que j'essayais de gagner tous les matchs que je jouais et cela se voyait certainement dans mon style de jeu, toutes les parties de combat de la Coupe du monde. Il y a toujours des choses dont les gens parlent quand ils ne comprennent pas les blagues et l'humour, alors ça me convient parfaitement.
Bien sûr, j'étais heureux de jouer. On ne sait jamais si c'est le dernier tournoi des candidats parce que c'est très difficile d'y arriver. C'est énorme, surtout que j'étais vraiment au fond du gouffre après ce tournoi à Khanty-Mansiysk.
Je peux dire dans les interviews que je n'essaie pas de gagner le Championnat du Monde mais dans mon esprit, mon état émotionnel est que si je joue aux échecs, en général, mon seul espoir est de devenir champion du monde. Que j'ai de grandes ou de maigres chances, que je sois un favori ou non... Sinon, je ne jouerais tout simplement plus aux échecs.
Rensch : Si la FIDE vous propose une wildcard ou une place garantie aux prochains Candidats, est-ce quelque chose que vous accepteriez ou bien estimez-vous que la juste décision serait de reprendre le tournoi de cette année à zéro ?
À ce stade, pour être honnête, il est difficile de discuter de ce qui serait clairement la bonne décision, si ce n'est de me laisser participer au tournoi et certainement de le recommencer, car la situation est extrêmement étrange. Je veux aussi entendre l'avis des autres joueurs. Je ne lis rien de la FIDE, du moins dans les actualités et les interviews, qui me laisse penser pour l'instant qu'ils vont prendre des mesures appropriées. À mon avis, il faudrait m'inclure dans le tournoi et le recommencer. Je suppose que la situation actuelle est que vous devez jouer avec neuf joueurs, je ne vois pas d'autre moyen de procéder pour l'instant.
Je suppose que la situation actuelle est que vous devez jouer avec neuf joueurs, je ne vois pas d'autre moyen de procéder pour l'instant.
En outre, ils ne discutent même pas de cette hypothèse jusqu'à présent, donc leur idée est probablement d'essayer de voir ce qui se passe en Russie avec la situation du virus et ensuite de terminer le tournoi dès qu'ils le pourront. C'est tout ce que j'entends.
Je devrais aussi consulter un avocat, voir comment ça se passe et examiner toutes ses réponses et tous les éléments que la FIDE a mentionnés dans sa lettre. Je suis vraiment déçu de la situation.
Je devrais aussi consulter un avocat, voir comment ça se passe et examiner toutes ses réponses et tous les éléments que la FIDE a mentionnés dans sa lettre. Je suis vraiment déçu de la situation..
Je suis moi-même avocat, mais j'aurais certainement besoin ici de vrais professionnels qui sont toujours là pour faire leur travail, car je suis certainement plus un joueur d'échecs professionnel qu'un avocat. Dans ce cas, je vois beaucoup de problèmes avec l'interprétation juridique de ce que la FIDE a fait ici, mais je veux d'abord consulter des avocats professionnels et voir si c'est juste d'un point de vue juridique.
Mais je ne sais rien des intentions de la FIDE, c'est ça le problème. Je veux entendre quelque chose, peut-être qu'ils vont discuter maintenant, peut-être qu'ils vont dire quelque chose. Il semble que cela soit toujours en cours : d'abord qu'ils n'ont pas pris la bonne décision, maintenant il n'y a même pas d'excuses ou quelque chose comme ça. J'aimerais qu'il n'y ait pas seulement des excuses envers moi, mais pour toute la communauté échiquéenne parce que ce qui se passe en ce moment est vraiment une honte pour les échecs.
J'aimerais qu'il n'y ait pas seulement des excuses envers moi, mais pour toute la communauté échiquéenne parce que ce qui se passe en ce moment est vraiment une honte pour les échecs.
Quand on sait que le problème grandit, surtout à l'approche du 14 mars, que le 16, le ministère des sports interdit toutes les manifestations et que le tournoi n'a pas encore commencé, alors pourquoi tenir cette cérémonie d'ouverture, ils connaissaient déjà cette décision du ministère des sports. Était-il si difficile de prévoir que les choses allaient se terminer ainsi ? Il faut vraiment que quelque chose de spécial se passe pour que le ministère des sports du pays qui accueille cet événement dise simplement : "les gars, il n'y a plus d'événements sportifs, c'est fini" et nous, nous répondons : "ce n'est pas illégal à partir du 15, nous pouvons commencer ce tournoi." Sérieusement ? Est-ce un choix responsable de la fédération qui est garante de la santé des joueurs d'échecs, des candidats, de la couronne mondiale ? Toutes ces personnes qui souffrent maintenant de la situation, ils ne devraient pas prendre de mesures dans ce cas ? Peut-être que je ne comprends pas quelque chose, je ne sais vraiment pas.
Hess : Juste pour être clair. Vous avez dit que vous n'avez pas eu de nouvelles de la FIDE, alors j'aimerais vous poser plusieurs questions. Premièrement, lors de nos entretiens d'aujourd'hui, ils ont déclaré que vous leur aviez lancé un ultimatum. Êtes-vous d'accord avec cette évaluation de votre lettre à la FIDE ? De plus, à quand remonte la dernière fois où la FIDE vous a parlé de quoi que ce soit en rapport avec le Tournoi des Candidats ?
Tout d'abord, l'ultimatum. À ce propos, il y a aussi des spéculations selon lesquelles j'aurais peut-être dû d'abord parler de la situation aux autres joueurs et prendre une décision avec tous ou certains d'entre eux. Mais dans ce cas, je suppose que cela serait revenu en quelque sorte à saboter le tournoi, car j'aurais incité les autres joueurs à annuler leur participation afin que la compétition ne soit pas organisée.
J'ai donc pensé que c'était la bonne décision de s'adresser directement aux représentants de la fédération. À l'époque, j'ai donc écrit une lettre à Dvorkovich. Peut-on dire qu'il s'agit d'un ultimatum quand la situation dans le monde est ce qu'elle est ? J'ai toutes les lettres et vous avez eu accès à leur contenu, je devais me retirer du tournoi ? Quel genre d'ultimatum est-ce là ? Je n'ai pas fixé de date ou de délai, j'étais toujours là pour discuter, il était toujours possible de me parler.
La première lettre que j'ai écrite à Dvorkovich n'était même pas une lettre ouverte, donc il pouvait vraiment exprimer des choses et débattre de la situation. Ce qu'il a fait en réalité, c'est qu'il m'a répondu : vous avez deux jours pour prendre une décision, donc l'ultimatum est venu de la FIDE. Il y avait une date limite, avec un moment précis où je devais valider ou non ma position quant au report du tournoi. L'ultimatum est venu de la FIDE, d'après ce que j'ai compris.
Hess : Même Magnus Carlsen a dit qu'il avait l'impression que vous ne vouliez pas vraiment être là, les Candidats étant un événement difficile et peut-être que vous n'étiez pas prêt. Que pensez-vous de cela ?
C'est son opinion. Je pense que le champion du monde a son avis. Quant à moi, par exemple, en tant que joueur d'échecs de haut niveau, j'ai aussi des opinions différentes quand il fait quelque chose.
La sienne n'est pas étayée par des faits. Si l'on réfléchit d'un point de vue juridique, j'avais gagné ma place pour les Candidats. J'y étais légalement. Je me préparais pour le tournoi, je voulais jouer en sachant que c'était peut-être la dernière opportunité pour moi de disputer un tel événement. On ne sait jamais si l'on sera capable d'être de nouveau en course pour défier Magnus.
Est-ce raisonnable, dans ces circonstances, alors que tout est fermé, que tout est reporté et officiellement arrêté par le ministère des sports, de jouer un tel tournoi ? Est-ce normal ? Je ne le pense pas.
En outre, ma volonté de me battre pour la couronne mondiale et de participer au tournoi des Candidats est ma propre décision. Je souhaite jouer, je suis initialement dans le tournoi et je me suis préparé pour, personne ne peut dire : "Il n'a aucune chance, donc peu importe s'il joue".
Hess : Pensez-vous que si un autre joueur avait écrit cette lettre, le tournoi aurait été reporté ?
Je pense que si c'était Carlsen, par exemple, qui avait écrit cette lettre, le tournoi aurait été annulé. Je pense que Caruana aurait également eu un impact énorme. Il est certain que le champion du monde fait entendre son opinion plus que tous les autres. C'est généralement compréhensible parce que c'est le champion du monde. S'il ne joue pas le match, alors on devra repenser le cycle mondial ou des choses comme ça. Cela s'est produit aux échecs à de nombreuses reprises. Un champion du monde peut avoir un impact énorme sur ce point. S'il disait non, le tournoi serait reporté.
Je pense que si c'était Carlsen, par exemple, qui avait écrit cette lettre, le tournoi aurait été annulé.
Il est difficile de juger pourquoi il pense que je n'allais pas résister à cette pression. Je l'ai fait pendant un mois lors de la Coupe du monde - je suppose que je serais capable de faire de même pendant 20 jours. Mais dans ces circonstances, il n'est tout simplement pas correct de jouer le tournoi. Nous avons vu les conséquences qui me donnent raison, alors je pense qu'il n'est même pas juste de discuter de ce point soulevé par le champion du monde. Je pense qu'il est plus correct de me demander et de m'interroger sur mes ambitions ou ma volonté de jouer. Il n'y a que moi qui connaisse la situation réelle.
En général, nous ne saurions pas ce qui se passerait si Carlsen était là. Je peux vous dire que s'il voyait la situation avec le virus, je ne suis pas sûr qu'il y participerait, d'autant plus qu'il a une équipe de managers et ainsi de suite qui dirait probablement que dans les circonstances il ne devrait pas jouer là-bas et que vous devriez parler à la FIDE ou écrire une lettre. Si je peux également exprimer mon opinion, je pense que ce serait le cas de son équipe dans cette situation. Je ne suis même pas sûr que son équipe le soutiendrait pour jouer un match dans ces circonstances.
N'oubliez pas que j'ai de très bonnes relations avec Carlsen, sa famille et même son équipe. Nous n'avons pas de problèmes, donc tout va bien.
Rensch : avez-vous suivi l'événement et si oui, de quelle manière ?
Bien sûr que j'ai suivi l'événement. Les échecs, c'est ma vie. Quand il y a quelque chose d'important, je m'y intéresse toujours. Lorsqu'il y a des parties importantes ou parfois même des blitz et des événements rapides, mais surtout lorsque des joueurs de haut niveau s'affrontent, bien sûr que je suis cela de près.
D'ailleurs, je sais que Nepomniachtchi est malade, je ne sais pas à quel point, mais il est malade en Russie, il ne se sent pas bien du tout. Cela n'a probablement pas eu d'impact sur sa partie contre Vachier-Lagrave, qui a très bien joué. Mais en général, je ne pense pas que le niveau soit aussi bon qu'il devrait l'être surtout chez certains des joueurs considérés comme les favoris, Caruana et Ding, je m'inquiète sur le fait que Ding Liren ait passé deux semaines quelque part en dehors de Moscou et que ça ait eu beaucoup d'impact sur son jeu, voilà ce que je pense. Être en quarantaine, pas dans sa ville natale, avant un événement aussi important, je pense que c'est une chose difficile à supporter et cela se ressent dans ses parties en général. On ne s'attendait pas à ce qu'il joue de cette façon dans les deux premières rondes. Certes, cela aurait pu se produire dans n'importe quel autre tournoi, mais cela a clairement joué un rôle, quant au jeu de Caruana il était loin d'être brillant.
Maintenant, le tournoi est arrêté à mi-parcours avec des conséquences peu claires, Vous disputez sept rondes maintenant et sept autres, je ne sais pas quand, dans un an, six ou trois mois. Ce sera un tournoi différent, avec des joueurs différents. Disons que huit joueurs viennent à ce tournoi, qu'ils sont super prêts et qu'un joueur l'est davantage que les autres dans ces circonstances. Ils peuvent revenir pour le nouveau tournoi qui n'est pas recommencé parce qu'ils ont déjà leurs points. Cela ne peut être qu'une bonne chose pour les joueurs qui ne sont pas au top, car ils peuvent peut-être être plus performants si le tournoi reprend dans trois mois.
Rensch : Si la FIDE avait pris la décision d'organiser les Candidats 2020 comme un événement en ligne dans des circonstances supposant que tout le monde serait surveillé de près, par un arbitre et dans un cadre moins dangereux compte-tenues des préoccupations liées au COVID-19, auriez-vous envisagé de jouer l'événement ?
Fischer, à un moment donné, si je ne me trompe pas, jouait par téléphone, n'est-ce pas ? Bien sûr, les échecs en ligne sont une excellente chose et toutes ces parties rapides et éclairs vous permettent de rester en forme pour de nombreux autres événements. Mais je pense que ce serait un peu plus proche d'un match de tennis où vous mettriez Roger Federer en Suisse et Rafael Nadal en Espagne et où ils joueraient l'un contre l'autre. Je pense que c'est vraiment différent. Aux échecs, c'est aussi différent.
Pour cet événement, il n'y aurait que vous dans la pièce qui déplacerait les pièces et quelqu'un devant vous qui bougerait celle de votre adversaire, vous ne voyez pas le visage de votre adversaire correctement et puis vous ne ressentez pas ce qu'il ressent par rapport à la position, quelles émotions il a, ce serait difficile. Je l'envisagerais bien, mais ce serait vraiment difficile à faire. C'est un tournoi différent. C'est le même jeu mais une histoire complètement différente.
Vous devez ressentir les émotions des autres, vous devez voir les autres, comment ils se comportent, comment vous vous sentez, tout cela compte beaucoup pendant votre partie. Un sourire de votre adversaire peut changer beaucoup de choses. Parfois, il arrive même que votre adversaire parle pendant la partie ou qu'il fasse quelque chose avec un pion ou une pièce. C'est un jeu où deux personnes s'affrontent, l'une devant l'autre. Je ne pense pas que dans ce cas, le jeu en ligne puisse permettre un si grand événement. Je pense que ce serait tout simplement une autre histoire.
C'est peut-être bien de faire un tournoi des Candidats non officiel ou de faire un événement de sept rondes avec un joli prix pour voir comment ça se passe, mais en général, je pense que c'est une autre histoire. Peut-être que vous pouvez faire quelque chose avec des caméras pour voir vos adversaires, mais pour le moment je ne pense pas que ce serait une bonne façon de mener ce tournoi.
Dans certaines situations, disons lors de la Coupe du monde, mon langage corporel n'était pas le meilleur, mais j'ai réussi à tous les tromper parce que j'étais vraiment en super forme, au niveau du calcul et des ouvertures. Je me suis préparé tout seul, j'ai vraiment beaucoup travaillé, même pendant l'événement. Dans ce cas, mon langage corporel était si mauvais qu'ils pensaient probablement qu'ils jouaient contre quelqu'un qui pouvait s'effondrer à tout moment, mais en fait c'était l'inverse.
Hess : Si les représentants de la FIDE regardent ceci, y a-t-il quelque chose que vous voudriez leur dire et voulez-vous des excuses de leur part à ce stade ?
Certainement, mais tout d'abord à la communauté des échecs, parce que je pense que ce qui s'est passé est une honte et je peux aussi voir beaucoup de fans, vraiment des milliers de personnes qui écrivent sur Twitter sur la situation et ainsi de suite, la plupart du temps je le vois quand ils mentionnent mon nom sur Twitter et ensuite je vois d'autres commentaires. Je pense que la FIDE devrait s'excuser auprès de toute la communauté des échecs. Ce qui s'est passé, je ne peux pas le comprendre, ni légalement ni par simple bon sens. C'est une situation sans précédent qui était, à mon avis, facile à éviter. Il était beaucoup plus logique de l'éviter que d'assumer maintenant les conséquences.
Leur idée, pour l'instant, est simplement de reprendre le tournoi et le terminer. Quand j'ai échangé des messages avec Dvorkovich, je l'ai prévenu que la situation allait devenir très mauvaise mais pour l'instant, nous en sommes ou nous en sommes mais c'est dommage.
J'ai également exprimé dans un de mes messages sur Instagram que c'est surtout un sport individuel et donc l'Association des professionnels des échecs devrait être plus active dans ce cas, mais ils ont envoyé des lettres à la FIDE qui sont restées sans réponse pour autant que je sache. En outre, je pense qu'il devrait y avoir plus de voix qui s'élèvent dans ce genre de situation. Par exemple, si Wang Hao voulait reporter le tournoi, il aurait dû l'exprimer et dire qu'il soutenait ma décision ou quelque chose comme ça. Caruana, dans une de ses interviews a expliqué qu'il n'avait pas d'autres choix, puisqu'il y était déjà et ainsi de suite. Mais imaginez que Carlsen dise que je ne participe pas à ce tournoi après ou avant la première ronde, je doute que la FIDE le maintienne.
Peut-être que lorsqu'ils ont entendu l'interdiction du ministère des sports, Caruana, Grischuk ou Wang auraient pu s'exprimer, mais il est certain que c'est un peu un problème pour les échecs en général, car c'est un sport individuel, donc tout le monde s'exprime dans son coin et il n'y a pas beaucoup de soutien parmi les joueurs. C'est pourquoi nous avons cette situation où, en général, seul ce que dit le champion du monde compte.
C'est un sport individuel, donc tout le monde s'exprime dans son coin et il n'y a pas beaucoup de soutien parmi les joueurs.
Nous aurions pu avoir les réactions suivantes : Radja annule sa participation, les gars, la situation est vraiment terrible, nous ne savons pas ce qui va se passer, alors reportons cela, écrivons une lettre ouverte à la FIDE, faisons quelque chose. Cela aurait été beaucoup plus facile si quelqu'un d'autre, comme Caruana avait dit qu'il était d'accord avec ma décision et qu'il pensait que le tournoi devait être reporté, et écrivons, faisons quelque chose ensemble. Ce serait la solution mais bien sûr, cela n'enlève rien à la responsabilité de la FIDE. C'est elle qui est l'organisateur et elle devrait être la première à agir.